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L’extériorisation ou manifestation du fait, cette extériorisation ne peut être constituée que par l’auteur responsable, d’où nécessité de la rechercher, chez Jeanne, sous toutes les formes qu’elle a pu lui donner. Enfin, les formalités, ou qualités requises par la législation pour qu’un fait se transforme en un acte, ce qui crée la matérialité.

Il y a unanimité pour affirmer que, par la parole, Jeanne s’est, par trois fois, refusée à toute abjuration.

Il y a unanimité pour constater que la cédule, qui lui fut ensuite présentée, ne contenait rien de contraire à ce que Jeanne avait toujours soutenu, affirmé, proclamé. On ne lui demandait de renier ni ses voix, ni sa mission, ni son roi. La même unanimité se retrouve pour reconnaître que la cédule de 500 mots (acte d’abjuration) est une pièce fausse, qui a été substituée à la cédule de 6 lignes en grosse écriture.

De cette constatation unanime, il résulte que la substance même du fait, qui serait une abjuration, n’existe pas et n’a jamais existé. Les actes de Jeanne (extériorisation) viennent témoigner que, par son attitude, ses paroles et tous les moyens dont elle pouvait disposer, elle s’est refusée à toutes les apparences d’une soumission quelconque (quod erat una derisio).

Qui peut d’ailleurs nous renseigner mieux que Jeanne elle-même sur ses propres dispositions ? « Si j’eusse dit (elle ne l’a donc pas dit) que Dieu ne m’a pas envoyée, je me damnerais moi-même, car en toute vérité, c’est Dieu qui m’a envoyée. »

Au sujet des formalités, la législation exige des manières formelles et expresses de procéder qui doivent être, les unes accomplies par l’accusé, les autres, respectées par les juges. Pour Jeanne, du fait qu’il s’agissait de la cédule de six lignes qui ne contenait pas la substance d’une abjuration, les formalités auraient-elles été accomplies qu’elles n’eussent constitué que des artifices de procédure ; mais les formalités qui incombaient à l’accusée ont-elles été remplies ?

Jeanne n’a pas lu la cédule, elle n’a pas mis la main sur les Evangiles, deux conditions substantielles et indispensables. Elle sait signer, et elle a refusé de mettre sa signature. Elle a mis une croix, signe conventionnel, puis un zéro, négation absolue. Aucune des formalités requises de la part de l’abjurante n’a donc été accomplie par elle.