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III. — LA MORT

Le Comité, depuis la veille, travaillait à trouver « le moyen » extrajudiciaire que réclamait Fouquier fort cyniquement, ou plutôt à le forger. Comme par miracle on avait, depuis quelques heures, une pièce « décisive. » Un détenu du Luxembourg, Laflotte, dénonçait une conspiration qui s’organisait dans les cachots et allait éclater : l’ex-général Dillon et le député Simon, tous deux prisonniers, en étaient les fauteurs ; ils avaient appris à Laflotte que les accusés tenaient tête au Tribunal, soutenus par le peuple, que Dillon allait recevoir mille écus de Lucile pour « envoyer du monde autour du Tribunal, » qu’il fallait se réunir suivant un plan que Laflotte s’offrait à aller révéler aux Comités.

En admettant que cette lettre n’eût pas été, la veille, préparée par certains membres des Comités, elle n’en suait pas moins l’imposture à chaque ligne. Quelle vraisemblance y avait-il à ce que Lucile fût allée porter ses mille écus à des prisonniers pour ameuter du monde autour du Palais ? Et comment Dillon, sous les verrous, pouvait-il provoquer un soulèvement ? C’est ce qu’aucun des membres des Comités ne se demanda, et pour cause. Ce rapport était tout ce qu’il fallait pour enlever un vote qui mît fin brutalement au procès, si Saint-Just, chargé du rapport, s’y prenait bien.

Le jeune homme se présenta, transporté d’une indignation feinte, à la tribune de la Convention, agitant des papiers : « les pièces ! » Il se garda de lire la lettre de Fouquier qui, après tout, proclamait formellement la forfaiture dont se plaignaient les accusés. Il la travestit impudemment : « L’accusateur public, dit-il, nous a mandé que la révolte des coupables avait fait suspendre les débats de la justice jusqu’à ce que la Convention ait pris des mesures. Vous avez échappé au danger le plus grand qui ait jamais menacé la liberté ; maintenant tous les complices sont découverts et la révolte des criminels aux pieds de la justice même, intimidés par la loi, explique le secret de leur conscience ; leur désespoir, leur fureur, tout annonce que la bonhomie qu’ils faisaient paraître était le piège le plus hypocrite qui ait été tendu à la Révolution... Il ne faut plus d’autres preuves. » Il parla alors du « complot des prisons » à sa manière