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ennuyé, détacha un juge qui, dans une pièce voisine, s’acquitterait de cette formalité. L’audience fut alors un moment suspendue. Mais Danton était décidé à ne point laisser de répit aux juges : « Pourvu qu’on nous donne la parole, criait-il, et largement, je suis sûr de confondre mes accusateurs, et si le peuple français est ce qu’il doit être, j’aurai à demander leur grâce. » Et Desmoulins criait aussi : « Ah ! nous aurons la parole, c’est tout ce que nous demandons. » Danton maintenant ricanait : « C’est M. Barère qui est patriote à présent, n’est-ce pas ? » et aux jurés : « C’est moi qui ai fait instituer le Tribunal, aussi je crois m’y connaître ! » Apercevant Cambon cité comme témoin à charge : « Cambon, lui dit-il, nous crois-tu conspirateurs ? » Cambon ne put réprimer un sourire : « Voyez, il rit ! il rit ! Il ne le croit pas ! Greffier, écrivez qu’il a ri. » Et au moment où, évidemment, un « mouvement d’audience » se produisait, Westermann, rentrant, tout fumant de fureur lui aussi, de la salle voisine, en créa un second : « Je demanderai, criait-il, à me mettre tout nu devant le peuple pour qu’on me voie. J’ai reçu sept blessures, toutes par devant. Je n’en ai reçu qu’une par derrière : mon acte d’accusation ! »

Herman alors reprit les débats. Il entendait s’arrêter longtemps à l’affaire de la Compagnie des Indes. Cambon venait déposer à ce sujet, mais auparavant il crut devoir parler de la mission en Belgique de Danton et de Delacroix. Or il ne les chargea nullement : « Ils avaient dénoncé Dumouriez dès qu’on avait pu suspecter sa trahison, » dit-il, et au Comité ou il siégeait alors avec eux, il leur avait entendu assurer « que la République, après de grandes crises, triompherait. » Si les témoins cités par Fouquier tournaient ainsi sous le regard de Danton, qu’allait devenir l’affaire ? Il est vrai qu’au sujet des trafics de la Compagnie, Cambon fut accablant, mais pour Chabot. Or, Danton n’y était pour rien.

Le président s’y éternisa d’autant plus : le grand accusé n’aurait ainsi aucun prétexte à parler.

Mais, ces débats clos, il fallut cependant passer à l’affaire Danton. Elle arrivait enfin sur le tapis et, impatient de se disculper, il se leva.

Nous n’avons pas, hélas ! sa défense. Ni le Bulletin du tribunal, à dessein bref et terne, maquillé d’ailleurs après coup, ni le rapport du policier au Comité, ni le discours de Pantin, ni les