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en faveur de Danton et de ses amis un privilège. « Nous ne voulons point de privilèges ! Non, nous ne voulons point d’idoles. » Les applaudissemens devenaient plus nourris. Pourquoi Danton serait-il mieux traité que Brissot, Pétion, Chabot et les amis d’Hébert ? « Nous verrons si dans ce jour, conclut-il, la Convention saura briser une prétendue idole pourrie depuis longtemps ou si, dans sa chute, elle écrasera la Convention et le peuple français. » Et fixant Legendre : « Quiconque tremble est coupable, » prononça-t-il. Legendre, terrifié, se vint excuser. L’effroi l’avait pris aux entrailles : quelques mois après, on lira dans la Gazette (du 15 brumaire) que « le citoyen Legendre vient de mourir des suites de la frayeur que lui avaient causée les menaces des membres des Comités, lorsque ce député prit la défense de Danton. »

Barère, toujours courtisan du succès, vint appuyer Robespierre. Pas de privilèges pour Danton ! Et la motion Legendre fut écartée. Saint-Just prononcerait sa catilinaire sans que « Catilina » fût là. Et alors parut à la tribune le beau et terrible jeune homme. Barras nous le montre lisant son « monstrueux » acte d’accusation de son ton « flegmatique, » tenant « son manuscrit d’une main immobile, de l’autre faisant un seul geste, levant son bras droit et le laissant retomber d’un air inexorable et sans appel, comme le couperet même de la guillotine : »

« La Révolution est dans le peuple et non point dans la renommée de quelques personnages. Cette idée vraie est la source de la justice et de l’égalité dans un Etat libre : elle est la garantie : du peuple contre les hommes artificieux qui s’érigent en quelque sorte en patriciens par leur audace et leur impunité. » Alors il commença à dénoncer « ces derniers partisans du royalisme, ceux qui, depuis cinq ans, ont servi les factions et n’ont suivi la liberté que comme un tigre suit sa proie. » Et il interpella l’absent : « Danton, tu as servi la tyrannie... » et, pendant une heure, il malmena ce formidable fantôme, coupant sans cesse de sa main droite la tête de l’accusé. A quoi bon redire ces phrases où tout le fiel de Robespierre était simplement délayé dans la phraséologie chère à Saint-Just ?

Il proposait, pour conclure, le décret d’accusation « contre Desmoulins, Hérault, Danton, Philippeaux, Lacroix, prévenus de complicité avec d’Orléans et Dumouriez, avec Fabre d’Églantine