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dut d’ailleurs raturer l’ordre, le surcharger : on a l’impression que ces quelques lignes furent écrites et remaniées au cours d’une discussion où à peine les prescripteurs se possédaient. L’ordonnance même des signatures est intéressante : Billaud, littéralement, se dut précipiter : cet ancien obligé de Danton signa le premier et très fermement, comme si, de sa main de fer, il agrippait enfin sa victime. Vadier signa aussitôt après : il « vidait le gros turbot farci » d’un bon coup de plume. Les autres suivirent ; mais c’est dans un coin, tout en bas du papier, que s’aperçoit, tracé d’une écriture chafouine, le nom de Robespierre. Jusqu’au bout, l’homme semblait hésiter à se découvrir.

L’ordre fut expédié au maire ; une heure après, les gendarmes étaient en mouvement : Danton, Delacroix, Philippeaux et Desmoulins rejoindraient Fabre et Hérault sous les verrous.

Rühl avait dépêché Panis à Danton. Il trouva le tribun assis au coin de son feu. Il parut indifférent d’abord, tisonnant sans mot dire. Et il resta là, dans ce fauteuil, l’air excédé, le reste de la nuit, ne voulant être arrêté dans son lit. Le pas des gendarmes s’entendant dans la cour du Commerce, il prévint sa femme : « On vient m’arrêter, » et comme, éperdue, elle pleurait : « N’aie pas peur, dit-il, comme machinalement, ils n’oseront pas. » Il se laissa emmener sans aucune résistance à la prison, toute proche, du Luxembourg.

Desmoulins, à la même minute, s’arrachait aux bras de Lucile. Il paraissait calme.

Danton et lui ne se croyaient peut-être pas perdus. Même devant le Tribunal, ils espéraient faire éclater leur innocence. Une lettre de Philippeaux, à son tour incarcéré, à sa femme, montre à quel point, très sincèrement, paraissaient vaines à tout ce groupe les accusations portées contre eux. En post-scriptum, il écrit : « Je viens d’apprendre que Danton, Camille et Lacroix sont également arrêtés. J’en ignore la cause. »


Paris apprit, à son réveil, l’invraisemblable nouvelle : Danton, Desmoulins arrêtés ! l’homme du Dix Août et l’homme du Quatorze Juillet ! Ce fut, dit Vilain d’Aubigny, une générale « stupeur. » En vain répandait-on qu’ils préparaient « la restauration de la royauté, » l’incrédulité était d’abord universelle, mais