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sans qu’on puisse dire avec certitude à quoi est due cette recrudescence du mal. Il ne s’est, en effet, rien produit qui l’explique. Quoi qu’il en soit, l’opinion est arrivée, en Allemagne et en Russie, à un état de surexcitation qui ne pourrait pas se prolonger sans danger, et cet état s’est manifesté subitement par un article de la Gazette de Cologne qui, en le dénonçant, l’a encore aggravé. Cet article n’était pas une production ordinaire ; il était d’une longueur inusitée, occupait la place la plus importante dans le journal et portait tous les caractères, sinon d’une communication officieuse, au moins d’un écrit qui avait lui-même été communiqué en haut lieu et n’y avait pas été désapprouvé. On a dit depuis qu’il était venu originairement de Russie et était l’œuvre d’un correspondant allemand bien placé pour voir ce qui se passait autour de lui. Or que se passe-t-il ? On accuse la Russie d’augmenter ses forces militaires dans des proportions considérables et redoutables, de les acheminer vers sa frontière occidentale, de construire ou de se disposer à construire des chemins de fer qui rendront sa mobilisation plus rapide, afin d’entreprendre un grand effort où il serait impossible de voir, de sa part, une intention amicale a l’égard de l’Allemagne. L’article dit d’ailleurs formellement que cette amitié prétendue traditionnelle des deux pays est une légende à laquelle il est désormais impossible d’ajouter foi, trop de déceptions en ayant prouvé la vanité.

L’article de la Gazette de Cologne pourrait passer pour un de ces simples mouvemens de mauvaise humeur qui se produisent quelquefois entre pays voisins, si l’abondance et la précision des griefs invoqués ne donnaient pas à croire qu’on se trouve en présence de quelque chose de très sérieux : aussi l’impression qu’il a produite a-t-elle été très vive, soit en Allemagne où l’on s’est montré ému du danger qu’il dénonçait, soit en Russie où l’on a éprouvé un sentiment non moins vif à la pensée qu’en face d’une Allemagne qui accroissait chaque jour ses forces, on ne pouvait pas faire un effort correspondant sans s’exposer à être dénoncé comme un ennemi de la paix. Si la Gazette de Cologne a cru donner un avertissement salutaire, il est à craindre qu’elle ne se soit trompée : l’article a jeté de l’huile et non pas de la cendre sur le feu, et les commentaires qui en ont été faits n’étaient pas de nature à apaiser les esprits qu’on avait si fort agités. Tous les journaux allemands ont plus ou moins emboîté le pas derrière la Gazette de Cologne. La thèse qu’ils ont développée est que, la Russie voyant croître d’année en année sa population avec sa force militaire, il convient de se demander, dès maintenant, s’il ne serait pas prudent