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pourraient, si le pays comprenait où nous en sommes, fournir une dernière chance de salut : mais le pays comprendra-t-il ?


La situation extérieure continue, elle aussi, de donner des sujets de préoccupation : nous parlons de la situation générale, car dans les Balkans, comme nous le disions il y a quinze jours, la phase aiguë semble sur le point d’arriver à un point de rémittence et, si l’avenir reste très incertain, le présent est un peu plus calme.

Cette amélioration toute relative s’arrête cependant à la frontière de l’Épire et de l’Albanie. Là, les populations helléniques, abandonnées par les troupes grecques et sur le point de tomber sous le joug détesté des Albanais, n’écoutent que leur désespoir et proclament leur indépendance. On ne saurait éprouver une sympathie trop profonde pour ces malheureux qui, après avoir vécu quelque temps sous la protection du drapeau hellénique, se croyaient rattachés pour toujours à la Grèce, qu’ils considèrent, non sans raison, comme la mère patrie. Mais la politique a ses exigences et, quelque cruelles qu’elles soient, on ne saurait, dans le cas actuel, reprocher au gouvernement d’Athènes d’y avoir cédé. Au cours du voyage qu’il vient de faire en Europe, M. Venizelos a certainement tout tenté pour obtenir le droit de conserver dans l’orbite hellénique les populations du Nord de l’Épire : s’il ne l’a pas obtenu, c’est qu’il s’est heurté à une impossibilité. Après avoir montré, pendant la guerre, des vertus guerrières qui ont dépassé les espérances de ses amis, la Grèce a montré depuis des qualités politiques qui ne sont pas moindres : elle a su se borner. Elle a certainement éprouvé une douleur très vive en renonçant à conserver dans son giron les populations du Nord de l’Épire, mais elle a remis à plus tard le couronnement de son œuvre et s’est résignée à n’avoir pour le moment que ce que l’Europe lui donne. Nous admirons les résolutions prises par les Épirotes : il faut désirer toutefois qu’ils n’y persévèrent pas, car, s’ils y persévéraient, le sang coulerait encore, et cette fois inutilement : or trop de sang a déjà coulé. Que les Épirotes attendent la justice de l’avenir ! La nouvelle principauté d’Albanie n’aura pas une vie facile et bien des chances pourront se présenter pour ceux qui, se tenant prêts à en profiter, auront su les attendre : ce serait peut-être les compromettre que de vouloir brusquer les événemens.

Mais ce n’est plus des Balkans que nous avons à parler aujourd’hui, c’est de l’Europe : elle éprouve depuis quelque temps un malaise qui, au lieu de se dissiper, a empiré dans ces dernières semaines,