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monde n’y a pas perdu, — a dit M. Barthou dans une interruption qu’il a expliquée ensuite. Il a mis M. le ministre des Finances hors de cause, mais il a exprimé la confiance que M. le ministre de la Justice ferait son devoir. A parler franchement, nous ne comptons pas beaucoup sur l’intervention de M. le ministre de la Justice, non pas que nous doutions de lui, mais parce que les opérations dont il s’agit, lors même qu’elles sont incorrectes, ne sont pas facilement saisissables, elles ont bien des moyens de se dissimuler. Le mal est fait. La femme de César ne devait pas être soupçonnée : il devrait en être de même de nos institutions et de la façon dont elles fonctionnent. En réalité, on a vécu pendant quelques jours dans une atmosphère empestée de soupçons, et la responsabilité de M. le ministre des Finances y est inévitablement engagée. Les oublis qu’il a commis et la manière même dont il les a réparés provoquent également des regrets.

Toutefois, la Bourse, après le dépôt du projet d’impôt sur la rente, n’a pas baissé autant qu’elle l’aurait fait si ce projet avait été pris comme une menace dont l’effet devait être immédiat. Les hésitations mêmes de M. Caillaux ont montré qu’il prévoyait des difficultés et des résistances telles qu’il aurait voulu, au moins provisoirement, s’y soustraire. Et puis il y a le Sénat. On comptait sur lui et non sans raison. Peut-être M. Jaurès obtiendra-t-il de la Chambre quelque manifestation nouvelle ; peut-être M. Caillaux fera-t-il à son tour, pour satisfaire M. Jaurès, quelques-unes de ces démonstrations dont il a parlé en termes un peu mystérieux ; ce seront les dernières contorsions d’une Chambre expirante et d’un ministère qui est peu sûr de son avenir. Le pays se rendra-t-il compte de ce qu’il y a d’humiliant pour le gouvernement parlementaire dans la manière dont il a fonctionné depuis quelque temps ? Jamais, à coup sûr, le gouvernement n’a montré plus d’inconsistance, de mobilité, d’incohérence, ni la Chambre plus d’inconscience de sa dignité et de ses devoirs. Si le pays est content de ce régime, il le dira le 26 avril ; mais alors, nous tremblerons pour le lendemain. M. de Lanessan, dans un article de journal qui a produit quelque impression, assurait récemment que les choses ne pouvaient plus durer ainsi. Il y a longtemps que nous l’entendons dire, et cependant, les choses durent, mais elles s’aggravent terriblement de jour en jour, et le malheur est qu’à la longue tout s’use au lieu de se renouveler, les institutions et les hommes. Quand on en est là, les anciens disaient que fata viam inventent : la fatalité intervient par des voies qu’elle trouve toujours. Les élections prochaines