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que l’impôt foncier et l’impôt sur les valeurs mobilières, M. Caillaux a dû en prendre son parti et s’accommoder à cette situation. L’impôt foncier, avec les réformes heureuses, bien qu’un peu précipitées, qu’on y a introduites, a été voté avec une extrême rapidité ; le Sénat a tenu sa promesse d’aller vite ; mais, au moment d’en venir à l’impôt sur les valeurs mobilières, le gouvernement lui a soumis un nouveau texte. Lorsqu’on l’a lu, la surprise a été grande ; on s’est frotté les yeux pour le relire avec plus d’attention encore et la surprise n’a fait qu’augmenter. Qui l’eût cru ? Tous les revenus mobiliers étaient soigneusement énumérés pour être soumis à l’impôt, tous…, à l’exception de la rente.

Ce n’est pas nous qui nous en plaindrons ; mais comment oublier que M. Caillaux a renversé M. Barthou et M. Dumont sur cette même question de l’immunité de la rente dont il se déclarait alors un adversaire résolu ? Il fallait l’entendre déclarer que la réforme de l’impôt sur le revenu était impossible, si la rente n’y rentrait pas au même titre que tous les autres revenus. On en était resté là. Aussi le projet de M. Caillaux sur les valeurs mobilières, qui donnait ou semblait donner un démenti imprévu à son opinion d’il y a deux mois, a-t-il été accueilli avec une clameur universelle : les partisans de l’impôt sur la rente étaient indignés, ses adversaires étaient satisfaits, mais scandalisés. Devant l’émotion générale, M. Caillaux a compris qu’une explication était nécessaire et n’a fait publier une note par l’Agence Havas pour déclarer qu’il n’avait rien abandonné de ses opinions et de ses intentions premières. La note était brève et insuffisante. M. Jaurès a porté la question à la tribune, et on a connu enfin l’explication de M. Caillaux. C’est, paraît-il, pour des motifs d’un ordre purement technique, qu’il a cru devoir distinguer la rente des autres sources de revenus ; mais il n’a jamais songé à l’exempter de l’impôt et il a annoncé que son tour viendrait bientôt. Il a dit tout cela sans grande chaleur, sans énergie, comme s’il parlait sous une pression à laquelle il ne pouvait échapper et dont M. Jaurès n’a d’ailleurs pas dissimulé l’inexorable étreinte. M. Jaurès parlait, lui, en homme qui a l’habitude d’être obéi et qui sait qu’il le sera. Peu satisfait des premières explications du ministre, il est remonté à la tribune et l’y a ramené pour l’obliger à préciser davantage. Bref, M. Caillaux a promis de déposer sans plus tarder un nouveau projet qui soumettrait à l’impôt la rente ou le rentier, car on fait une distinction artificielle entre celle-là et celui-ci, comme pour rendre un dernier et hypocrite hommage à un principe qu’on ne respecte plus.