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que tous ceux qui l’ont entendu ont déclaré avoir été fort éloquent, mais qui, à la lecture, nous a un peu déconcerté. En effet, qu’a reproché M. Briand, à M. Caillaux ? Il lui a reproché de n’avoir pas défendu assez vigoureusement devant le Sénat son impôt sur le revenu, et de n’avoir pas, en posant la question de confiance, exercé sur l’Assemblée une pression assez forte pour le faire voter. Ce n’était pas ainsi qu’il aurait fallu faire, a déclaré M. Briand, et il a rappelé des exemples fameux. Il y a eu autrefois un projet qui heurtait toutes les convictions du Sénat, c’est celui du rachat de l’Ouest ; la haute Assemblée n’en voulait pas, certes ! elle en prévoyait les funestes conséquences ; livrée à sa conscience, elle n’y aurait jamais adhéré. Mais M. Clemenceau, qui était alors président du Conseil, a posé la question de confiance et il a fait capituler le Sénat. Admirable exemple ! s’est écrié M. Briand. Après avoir cité M. Clemenceau, il s’est cité lui-même. N’a-t-il pas, étant président du Conseil, posé la question de confiance à propos de la réforme électorale ? Il est vrai qu’il a été renversé, mais n’importe, il avait fait son devoir. M. Caillaux n’a pas fait le sien, et M. Briand ne le lui pardonne pas. On aurait cru, à l’entendre, qu’il était grand partisan des projets financiers de M. Caillaux et on avait besoin de faire un effort pour se rappeler qu’il y a quelques semaines à peine, à Saint-Étienne, il les avait condamnés et flétris en y dénonçant l’emploi de la pince-monseigneur, expression qui nous avait paru énergique presque à l’excès. Il semble donc que M. Briand ait cédé simplement à une préoccupation d’artiste dans les reproches qu’il a adressés à M. Caillaux, et cela nous laisse froid. On connaît l’anecdote de ce vieux monsieur, ancien militaire sans doute, qui, pendant les journées de Juillet 1830, voyait un insurgé tirer à tort et à travers des coups de fusil sans atteindre personne. — Ce n’est pas ainsi qu’il faut s’y prendre, lui dit-il : je vais vous montrer. — Et, chargeant et rechargeant deux ou trois fois le fusil, épaulant bien et visant juste, à chaque coup, il abattait un garde du corps qui défendait les Tuileries : après quoi, il rendit le fusil à l’insurgé. — Gardez-le, lui dit celui-ci ; vous vous en servez trop bien ; — Non, répondit l’autre, ce ne sont pas mes opinions. — Sont-ce ou ne sont-ce pas ses opinions que M. Briand accuse M. Caillaux d’avoir si mal défendues ? En vérité, on n’en sait rien. On le saura peut-être dans quelques jours, car on annonce un prochain discours que M. Briand doit prononcer hors de la Chambre et où il dissipera vraisemblablement ces obscurités.

Revenons au Sénat. Le voyant résolu à ne voter pour le moment