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même des vivres ou tantôt se servant, à cet effet, d’un renégat espagnol surnommé le Doreur. Longtemps l’audacieuse entreprise se poursuit sans encombre. Déjà une frégate espagnole est sur le point de recevoir à son bord les quinze protégés de Cervantes, lorsque le Doreur s’avise de dénoncer ceux-ci au Dey d’Alger, qui les fait arrêter. Sur quoi, Cervantes d’accourir et de s’écrier, une fois de plus : « Aucun de ces chrétiens qui sont là ne doit être blâmé pour leur tentative ; car c’est moi seul qui l’ai imaginée, et qui ai décidé mes compagnons à vouloir s’échapper ! »


Sous des volées d’insultes, il fut conduit, les mains liées, en présence du Dey, qui le menaça de la torture et de la mort, s’il ne révélait pas les détails du complot. Cervantes répéta obstinément que lui seul était responsable de tout. Enfin le Dey, comprenant l’inutilité de toutes ses menaces, le fit enfermer dans un cachot, où il le retint au secret pendant plus de cinq mois. Mais Cervantes n’en réussit pas moins à dépécher à Oran un messager, avec une lettre pour le commandant de la garnison espagnole. Il demandait que des agens confidentiels fussent mandés à Alger pour l’aider à s’enfuir avec trois autres captifs. Son messager fut arrêté aux portes d’Oran, et ramené devant le Dey, qui, en découvrant la lettre, condamna ce malheureux lui-même à être empalé, et Cervantes à recevoir deux mille coups de bâton.


Puis une année s’écoule, pendant laquelle nous apprenons seulement que Cervantes, acheté maintenant par le Dey à son premier maître, s’est employé de toutes ses forces à faire remettre en liberté un saint moine espagnol retenu comme otage. Mais voici que, en septembre 1579, il parvient à attendrir le cœur d’un autre renégat, l’ex-licencié Giron, éveille chez lui le regret de son ancienne foi et de son ancienne patrie, le décide à faire l’acquisition d’une frégate armée sur laquelle se réfugieront soixante des principaux prisonniers de la ville ! De nouveau l’entreprise est sur le point de réussir, lorsque l’un de ces prisonniers que Cervantes a voulu délivrer, un certain Blanco de Paz, qui se fait passer pour commissaire de l’Inquisition, le dénonce au Dey.

« Cervantes s’était d’abord caché dans la maison d’un ami : mais au premier appel de son nom par le crieur public, il vint se livrer à la police. Il fut conduit en présence du Dey avec les mains liées derrière le dos et une corde autour du cou, par manière d’avertissement du sort qui l’attendait. Selon sa tactique habituelle, il affirma que lui seul avait eu connaissance de l’arrivée de la frégate, et que jamais il n’avait fait part à personne de son nouveau projet, — si ce n’est à