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forcé de lui rendre, tout au moins, une liberté relative ; et depuis ce jour, pendant plus de cinq ans, avec une ténacité, une patience, et un sang-froid merveilleux, l’esclave n’allait plus se relâcher de méditer sa propre délivrance ainsi que celle de ses compagnons.

A quatre reprises, tout au moins, nous le voyons ainsi tenter vainement d’intrépides efforts ; et toujours il veut que d’autres esclaves de sa race profitent avec lui de ces tentatives ; et toujours ensuite, lorsqu’un hasard fatal est venu faire échouer les plans qu’il a conçus, son principal souci est de disculper ses complices, en prenant sur soi seul une responsabilité qui risquera plus d’une fois de lui coûter la vie. « Il nous est impossible, — écrit M. Kelly, — de dire exactement la date de son premier essai d’évasion : mais tout porte à croire qu’il a eu lieu au printemps de 1576, après que déjà l’esclave de Dali-Mami avait réussi à se gagner la confiance de son entourage. Son plan n’avait d’ailleurs, cette fois-là, rien de compliqué. Cervantes s’était entendu avec un Maure qui devait le conduire à Oran, avec un groupe d’autres prisonniers espagnols. Mais en chemin, après quelques jours de marche, le Maure a abandonné les fugitifs, qui se sont trouvés contraints de revenir à Alger. Cervantes, qui s’était ouvertement proclamé l’initiateur de l’affaire, a été de nouveau chargé de chaînes, et soumis à la surveillance la plus rigoureuse. « 

Au début de l’année suivante, les documens nous le montrent s’intéressant au travail littéraire d’un prisonnier italien qui s’occupe à rédiger une relation de la prise de Tunis par don Juan d’Autriche, et pour lequel il écrit deux sonnets destinés à être publiés en tête de l’ouvrage. Mais sa pensée dominante est toujours de combiner des moyens pour reconquérir sa liberté. Ses vieux parens, de leur côté, font tout ce qu’ils peuvent pour lui procurer l’argent de sa rançon : mais comme la somme qu’ils réussissent à rassembler reste au-dessous du prix exigé par Dali-Mami, Michel Cervantes en dispose pour faire racheter son frère Rodrigue, à qui il demande seulement d’obtenir l’envoi d’une frégate espagnole dans les eaux d’Alger.

Rodrigue, ainsi délivré généreusement par son frère, s’embarque pour l’Espagne en août 1577 ; et aussitôt Michel commence à préparer l’exécution de son nouveau projet. Avec l’aide d’un jardinier navarrais employé au service du préfet turc Hassan, il creuse un large caveau dans un jardin appartenant à ce haut personnage, et situé au bord de la mer, en dehors de la ville. Dans ce caveau il fait entrer, les uns après les autres, une quinzaine d’esclaves chrétiens ; et pendant de longs mois il parvient à les nourrir, tantôt leur apportant lui