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REVUES ÉTRANGÈRES

UNE NOUVELLE BIOGRAPHIE DE MICHEL CERVANTES


Miguel de Cervantes Saavedra, par James Fitzmaurice Kelly, 1 vol. 8° ; Oxford, 1913.


Je certifie en toute vérité que, le 25 février de la présente année 1615, mon maître l’illustrissime cardinal archevêque de Tolède m’ayant emmené avec lui afin de rendre la visite qu’il avait reçue de l’ambassadeur de France, venu en cette ville de Madrid pour traiter de choses concernant des mariages de princes de son pays, plusieurs cavaliers français appartenant à la suite de l’ambassadeur, hommes aussi courtois qu’entendus et amis des bonnes lettres, se sont approchés de moi ainsi que des autres chapelains du seigneur cardinal, et nous ont demandé quels livres d’invention avaient aujourd’hui chez nous le plus de renom. Et comme le hasard m’avait amené à leur faire mention de cette présente Deuxième Partie de l’Histoire de Don Quichotte, qui se trouvait en ce moment soumise à ma censure, à peine les susdits cavaliers eurent-ils entendu le nom de Michel de Cervantes, qu’aussitôt ils commencèrent à proclamer tous ensemble de quelle haute estime jouissaient, aussi bien en France que dans les royaumes voisins, les œuvres dudit Cervantes : sa Galathée, que l’un d’entre eux savait quasi par cœur, la première partie de son présent Don Quichotte, et ses Nouvelles Exemplaires. Ils parlaient avec tant d’éloges que je m’offris à les mener voir l’auteur de ces livres, ce qu’ils acceptèrent avec raille démonstrations du plus vif désir. Ils me questionnèrent abondamment sur son âge, sa profession, sa qualité et sa fortune. Force me fut alors de leur dire que l’auteur qu’ils admiraient était vieux, soldat, gentilhomme, et pauvre. A quoi l’un d’entre eux répondit en propres paroles : « Se peut-il que l’Espagne ne rende pas riche un tel homme, en l’entretenant de son trésor public ? » Ce qu’ayant entendu, un autre des susdits cavaliers reprit à son tour très spirituellement : « Que si c’est la