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et par le style, — nous ne parlons que du style littéraire, — elle ne manquera pas de plaire aux gens qui ont le goût de la recherche ingénieuse, trop ingénieuse, du maniérisme et de la préciosité.

Une petite ville anglaise, au bord de la mer. « Une place couronnée de maisons à plusieurs étages, ayant dans le bas des magasins. » Étalages variés et tentans : fleurs, pâtisseries, jouets, marrons tout chauds. La nuit tombe, la nuit de Noël, et la neige aussi tombe sur les passans, sur les acheteurs affairés, sur un vieux mendiant, sur son orgue de Barbarie et son caniche, et sur une enfant chétive et blonde, Daisy, la petite marchande d’allumettes. A gauche, on voit un magnifique palais. Un suisse en sort, « hautain, doré, splendide, » qui fait à toutes les boutiques ses dernières commandes. La maîtresse de céans, « la duchesse, » attend ce soir même un sien neveu, « qui partit on ne sait pas où, sur un yacht blanc garni de cuivre et d’acajou. » En l’honneur du bel officier de marine, il y a fête à la maison, arbre de Noël et le reste. Le reste, c’est un essaim de jeunes personnes, par les soins de la bonne tante assemblées, afin


Que, parmi tant de jeunes filles,
L’incorrigible voyageur,
Devenu pour un soir danseur,
Perde son cœur dans un quadrille.


Il suffit de cette annonce et de ces apprêts pour induire la pauvre Daisy en des songes de plaisir et déjà presque d’amour. Cependant la foule s’est écoulée, les boutiques se ferment, et pas une boîte d’allumettes ne s’est vendue. Plus heureux, le vieux mendiant a ramassé quelques sous. Il les donne à sa petite compagne de misère. Mais voici que deux jeunes apaches l’en dépouillent. Le froid, la neige redouble. Que faire ! Pour réchauffer au moins le bout de ses doigts tremblans, Daisy allume une allumette. Alors, « de la petite flamme qui, en répandant sa petite chaleur, a mystérieusement transformé l’atmosphère, tout un rêve peu à peu prend naissance, qui, graduellement, se précise et s’agrandit. » La neige n’est plus froide, ni le vent, ni la nuit. Les hommes eux-mêmes ne sont plus méchans. Les apaches rendent l’argent, les boutiquiers rouvrent leurs boutiques et remplissent de belles et bonnes choses les petites mains qui ne grelottent plus. Bientôt une seconde allumette allumée, puis une autre et d’autres encore évoquent des illusions nouvelles et font voir à l’enfant, qui s’endort peu à peu, « tous les contraires délicieux des misères réelles. »