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livrer à des manifestations violentes qui n’étaient pas du tout dans leur caractère. C’est ce que M. Donnay avait traduit par une scène fort amusante où un vieux général, agacé par le sourire silencieux d’un jeune homme inoffensif, s’irrite, se congestionne, éclate contre son interlocuteur muet, et le traite d’imbécile. La salle, à l’époque, avait tout de suite saisi l’allusion. On pouvait se demander comment se comporterait le public d’aujourd’hui. Il s’est amusé, comme celui d’hier, mais pas de la même manière ; il est maintenant, et par bonheur, à cent mille lieues de l’Affaire : il n’a vu dans la scène fameuse du second acte, — inspirée, si je me souviens bien, par une anecdote réelle, — qu’une des mille et une incartades du colonel Ramollot, promu au grade de général.

Jadis on avait fait surtout attention aux broderies ; cette fois, c’est la pièce elle-même qui a émergé. M. Donnay a dit lui-même de sa pièce : « Georgette Lemeunier est la pièce la plus morale que je connaisse : c’est de la psychologie conjugale. » Le fait est que l’héroïne est une très honnête femme, — disons plus : une honnête femme, — que son rôle est à peu près toute la pièce et que, lorsqu’elle n’est pas en scène, l’intérêt languit. Elle aime ardemment son Lemeunier qu’elle a épousé pauvre, inconnu, et avec qui elle a traversé allègrement ce que le langage commun appelle les années difficiles. Mais le langage commun se trompe : les années difficiles, ce sont celles où le mari devient célèbre et le ménage presque riche. Il y a une griserie du succès, de tous les genres de succès, et les plus vertueux n’y résistent guère. C’est ce dont Georgette est en train de faire la triste expérience. Lemeunier est tombé dans les filets d’une Mme Sourette, dont le mari fait des affaires, qui ne sont pas des affaires très propres, et qui lui sert de rabatteuse. Cette Mme Sourette est très belle, très élégante, et Lemeunier en est à ses débuts dans la grande vie : c’est dire qu’il est complètement affolé.

Au premier acte, nous sommes témoins des inquiétudes de Georgette, nerveuse, fiévreuse, attendant le retour de son mari qui est allé passer la soirée à l’Opéra dans la loge des Sourette. Au second acte, une erreur de bijoutier lui fournit la preuve, sinon de l’adultère qui n’a pas été consommé, du moins de la passion coupable de son mari. Et elle ose cette démarche d’honnête femme qui n’a pas froid aux yeux : rapporter elle-même à sa rivale le bijou qui s’est trompé d’adresse. Seulement, après cela, elle se réfugie chez sa mère et elle demande le divorce : c’est le premier mouvement, et le premier mouvement chez un être vertueux est toujours intransigeant.