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aussi les paysans et ils gâtent le paysage. M. Cocatrix est venu à eux les mains pleines de vérités et il les a ouvertes toutes grandes. Il leur apporte le progrès, la science, l’hygiène, l’évangile des campagnes modernes. Et il s’étonne d’être lapidé ! O candeur ! Jusqu’ici, sur les terres de Grand-Pré, on a toujours battu le blé à la force des bras, ce qui est fatigant, long et coûteux : voici la batteuse mécanique, économie de temps et d’argent, et surtout invention américaine. Les paysans font en sorte de casser, en le déballant, cet engin qui ne leur dit rien qui vaille. A Grand-Pré, c’est comme partout : on boit de l’alcool et on en boit ferme. Aussi la boisson hygiénique composée par M. Cocatrix avec de la coca et de l’acide formique, n’aura-t-elle pas plus de succès parmi les travailleurs de la terre que n’en avait eu la mixture imaginée par Bouvard. Et, à Grand-Pré, on a, de temps immémorial, l’habitude de se débarbouiller avec l’eau de la mare, — quand on se débarbouille. Mme Cocatrix, auxiliaire dévouée des idées de réforme de son mari, prétend que désormais tout le monde à la ferme se lave à l’eau bouillie. J’en passe, et des plus saugrenues, et des plus scientifiques. En récompense de tant de bienfaits, les paysans de M. Cocatrix lui volent ses prunes, lui braconnent son gibier et s’amusent énormément à des farces sournoises, comme d’asperger de purin la robe de la dame. Si encore ces bons villageois tenaient à leur routine, parce qu’ils tiennent à leurs traditions, à leur passé, et si leur résistance n’était qu’attachement pour la terre ! Mais ils n’aiment plus la terre. Ils n’ont qu’une envie, c’est de quitter leur village. La ville les attire. Ils veulent être, l’un employé de chemin de fer, un autre postier, et tous bourgeois. Et l’acte s’achève sur une vision d’exode universel. En route pour Paris !

M. Cocatrix n’a pas gagné la paix des champs, et il a perdu la paix de son foyer. Ce sont, entre lui et sa femme, jadis si unis, des querelles sans cesse renaissantes, et qui renaissent de chacun de leurs déboires réciproques. La plus malheureuse est encore leur fille, la pauvre Fernande. Ils lui ont mis en tête qu’elle épouserait le fils du comte, Raoul. Docile à leurs suggestions, elle a feint d’aimer la campagne, afin de conquérir ces nobles terriens. Mais le comte est un vieux finaud qui a éventé la ruse : dans une conversation avec la jeune fille, il n’a pas de peine à lui faire avouer que ses goûts champêtres ne sont qu’un semblant, une feinte pour attraper le jeune Raoul, un attrape-vicomte. Démasquée et confuse, la pauvrette s’enfuit en pleurant. La scène est adroitement menée, mais qu’elle est cruelle ! Notons que ce type de hobereau, devenu paysan à vivre avec les paysans et qui a pris