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C’en est donc fait ! La guerre horrible est de retour,
Non pas celle des camps, — celle du carrefour…
Pas celle que la Nuit couvre de sa splendeur,
Où les étoiles d’or pleurent comme des frères
Les pauvres morts épars, — celle des réverbères,
Du lourd brouillard sanglant qui monte d’un charnier,
Et que l’ouragan même hésite à dissiper,

ou comme ceux-ci enfin :

Mais un soir, je m’en vins lentement, quand la lune
Fauche l’azur du ciel de sa faucille d’or
Et fait tomber d’en haut sur la peine commune
Sa moisson de sommeil et d’oubli, doux trésor.

Quelle étonnante image et quelle admirable strophe ! La pièce d’où elle est extraite est dédiée à Tennyson. Si ce dernier, en les lisant, n’a pas été jaloux de ces vers, s’il n’a pas senti au cœur ce petit coup que connaissent bien tous les amoureux de la vraie poésie, s’il ne s’est pas dit : « Celui-là est digne de figurer dans la phalange sacrée, » j’en serais infiniment surpris, et un peu scandalisé. Et que d’autres vers encore, pleins, forts, sonores, et comme gorgés de sève, on pourrait cueillir dans ces poésies de jeunesse !

… Ces sinistres faucheuses
Qui rasent par rangs drus les lourds seigles humains…

Les pesans régimens, tout enivrés de gloire
Et cadençant leur pas sur un chant de victoire.
Passent avec des fleurs au bout de leurs fusils…

Il consume sa vie au brasier de son rêve…

Si je tiens mon honneur comme un diamant dur
Qu’aucun désir n’a pu briser sur son enclume…

Je ne veux pas mourir avant d’avoir été…

Le vent léger du soir s’endort sous la feuillée
Encor tout parfumé par le baiser des fleurs…

Quand la nuit bleue épand le sommeil de ses urnes…

La fine poudre d’or qui tombe quand le soir
Vide le sablier du jour…

Mais je ne voudrais pas laisser croire que le poète de l’Amie perdue ne vaut, — comme les poètes de troisième ou quatrième ordre, — que par de beaux vers isolés ; il a le souffle, il a le mouvement, il a la continuité de l’élan poétique. Entre autres développemens rythmiques dignes d’attention, et qui pouvaient faire pressentir telle ou telle page