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mission. Le régime du protectorat apparaissait comme impuissant. Une seule solution restait possible, l’annexion. En 75, la Cyrénaïque était réduite en province romaine. Quarante ans plus tard, Antoine, dans un de ses momens d’aberration, aliénait la province au profit de Cléopâtre Seléné, un des enfans qu’il avait eus de la célèbre Cléopâtre. Après sa mort, la Cyrénaïque revint à l’Etat romain qui en reprit, et cette fois définitivement, l’administration directe. En même temps, Octave, vainqueur à Actium, annexait l’Egypte. Il ne restait plus, pour relier les possessions romaines et achever l’occupation du littoral africain, qu’à soumettre le pays compris entre le territoire cyrénéen et l’Egypte, l’ancienne Marmarique. L’an 20 avant Jésus Christ, le proconsul Sulpicius Quirinius combla cette lacune et annexa à la Cyrénaïque la région qu’il venait de conquérir.

Maîtres de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, les Romains se trouvaient en présence d’un premier et grave problème, celui de l’organisation administrative. Deux solutions devaient naturellement se présenter à leur pensée : grouper les deux pays en une province unique, les constituer en deux provinces indépendantes. Un fait essentiel doit frapper l’historien. Pas un instant ils n’ont songé à adopter la première. Les deux régions étaient au point de vue géographique radicalement différentes ; Libyphéniciens de Tripolitaine et Grecs de Cyrénaïque n’avaient entre eux aucun lien commun, ni dans le présent, ni dans le passé. Les Romains étaient trop sagaces administrateurs pour juxtaposer artificiellement deux domaines ethniques et linguistiques si totalement étrangers l’un à l’autre. La seconde solution, pour des raisons d’un autre ordre, était également inadmissible. La Cyrénaïque et surtout la Tripolitaine, dans la faible mesure où Rome l’occupait alors, étaient de dimensions trop restreintes pour former des provinces autonomes. Un seul procédé dès lors restait possible, l’incorporation aux provinces les plus voisines ; c’est celui qui prévalut. La Tripolitaine fut rattachée à la province d’Afrique ; la Cyrénaïque fut jointe à la Crète. Ce règlement respectait les affinités ethniques et linguistiques qui unissaient entre eux les Libyphéniciens de Tripolitaine et d’Afrique, les Grecs de Cyrénaïque et de Crète ; il conservait intacts les souvenirs du passé ; il tenait compte des hommes et des choses, c’est dire que, dans la question tripolitaine, Rome avait vu juste et avait su organiser.