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Avec ce personnage, l’histoire fait place au roman. Démétrius manquait de qualités solides, mais il était très beau et, fort infatué de lui-même, il se croyait irrésistible. Dès son arrivée en Afrique, selon l’expression élégante de l’historien Justin, « il transporte son désir de plaire de la jeune fille à la mère. » La reine mère est immédiatement séduite, et Démétrius devient son amant. Bérénice, la plus intéressée et la mieux placée pour savoir, eut bientôt des soupçons, puis l’affaire s’ébruita et défraya la chronique scandaleuse de la ville. Le peuple et l’armée se prononcèrent contre Démétrius. Surpris dans le lit même de la reine, où il avait espéré trouver un asile inviolable, le galant aventurier fut mis à mort. Bérénice, restée par convenance à la porte de la chambre, encourageait les assassins et demandait seulement la grâce de sa mère qu’elle réussit à obtenir. « Par cette exécution, conclut Justin, Bérénice vengea la honte de sa mère, sans se départir de sa piété filiale et suivit dans le choix d’un époux la volonté de son père. » Quelque temps après, elle épousait Ptolémée Evergète. Cyrène perdait une fois de plus son indépendance. Tout au moins réussit-elle à sauvegarder son autonomie ; elle eut son assemblée particulière et continua à frapper monnaie.

Au IIe siècle, un péril nouveau surgit à l’horizon, la menace de l’intervention romaine. Ptolémée VI Philométor et son frère Evergète régnaient en commun sur l’Egypte ; ils ne s’entendirent pas et Evergète chassa son frère. Les Romains intervinrent en médiateurs et, pour mettre d’accord les frères ennemis, morcelèrent l’objet du litige. Philométor garda l’Egypte, Evergète reçut la Cyrénaïque sous forme de royaume séparé (163). A sa mort en 116, il la légua à un fils bâtard, Ptolémée Apion. Mais, désormais pour Cyrène, l’indépendance n’est plus qu’un vain mot. Rome est déjà dans la coulisse. Nous n’allons pas tarder à l’en voir sortir.


II. — L’OCCUPATION ET L’ORGANISATION

Le traité qui avait mis fin à la seconde guerre punique laissait aux Carthaginois toutes leurs possessions d’Afrique, par conséquent la Tripolitaine. Mais la paix conclue avec Rome ne rendait pas à Carthage son ancienne sécurité ; sur le sol africain,