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Marguerite ne rejette point la doctrine des sacremens. Elle gardera toujours une dévotion spéciale à la Vierge. Elle fait allusion à l’intercession des « âmes saintes. » Favorable aux ordres religieux, elle ira méditer sur l’Evangile dans les cloîtres. Mais surtout, si elle ne veut point prendre parti dans les querelles théologiques qui mettent aux prises Erasme et Luther, son mysticisme laisse une place à l’activité humaine. Cette passionnée de renoncement ne nous veut point passifs devant l’amour. Elle prétend, par la grâce, nous conduire à la liberté. — Encore moins subira-t-elle l’influence de Calvin. Il n’y a aucune comparaison possible entre sa théorie de l’élection divine, regard de Dieu vers ses élus, et le sombre dogme de la prédestination. Comme le maître de Genève, l’auteur du Miroir peut commenter et traduire saint Paul, mais avec quel autre accent !


Formée par l’école de Meaux, c’est toujours dans ce sillage que l’élève de Briçonnet et de Lefèvre continue à se mouvoir. En ce sens, il serait facile de retrouver, dans ses poésies, jusqu’aux expressions de sa correspondance avec l’évêque. Et si elle ne garde pas les élémens spéculatifs des Commentaires sur les Évangiles, elle en reproduit au moins le principe fondamental : la vie par l’amour, l’amour « plus forte que la mort. » Cette conception du mysticisme, dépouillée de toute théologie, l’attirera en 1540 vers la renaissance platonicienne et les « libertins spirituels. » En réalité, la foi de Marguerite n’est guère qu’un idéalisme religieux, qui a su très bien s’adapter à la culture intellectuelle de la Renaissance comme aux sources traditionnelles de l’Eglise. Et c’est peut-être par cette religiosité large, non moins que par son esprit, son rang, que la reine de Navarre a exercé une influence sur la pensée religieuse de son temps.

Que cette influence ait été réelle, de 1530 à 1535 notamment, il suffit de lire les poètes pour s’en convaincre. Elle a agi sur Marot (un certain mysticisme s’allie bien au libertinage), mais elle domine surtout la poésie latine. On peut dire que, sauf Dolet, tous ces poètes (combien oubliés I) Duché d’Aigueperse, Voulté de Reims, Bourbon de Vandœuvre, ont les yeux fixés sur la reine de Navarre. Ils célébreront ses vertus ou ses talens. Bourbon lui demandera d’être attaché à son service. Voulté