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face vis-à-vis du nationalisme ottoman : l’avenir sera d’ailleurs ce que les circonstances le feront. Quand même la Porte n’aurait fait aucune de ces réserves, nous n’aurions qu’une médiocre confiance dans son amour de la paix, si elle se sentait un jour évidemment la plus forte ; elle reprendrait les îles à la Grèce, comme elle a repris Andrinople à la Bulgarie ; mais il faut espérer qu’elle ne le pourra pas, soit parce que la Grèce s’arrangera pour conserver la supériorité maritime qu’elle a encore aujourd’hui, soit parce que la Porte aura le sentiment que l’Europe ne tolérerait pas de sa part une agression contre la Grèce.

À ce point de vue, la question que nous posions à la fin de notre dernière chronique reste entière, puisqu’elle n’a reçu aucune réponse. Sir Edward Grey avait émis l’avis que les Puissances, après avoir notifié leurs décisions à la Grèce et à la Porte, devaient y ajouter quelque chose, de manière à faire sentir que ces décisions n’avaient pas un caractère platonique et que les moyens de les faire respecter avaient été éventuellement prévus. Sir Edward Grey avait raison et les Puissances l’ont compris sans doute ; mais elles ont pensé qu’à chaque jour suffisait sa peine et qu’il fallait laisser à l’avenir le soin de l’avenir. Puisse cette abstention n’avoir pas de fâcheuses conséquences ! Nous croyons que la Porte n’a, pour le moment, aucune intention agressive contre la Grèce ; mais il faut avouer que celle-ci, dans sa réponse aux Puissances, était bien fondée à leur dire, comme elle n’a pas manqué de le faire, qu’en lui interdisant de fortifier Chio et Mitylène, elles lui en garantissaient la tranquille possession et se chargaient de la lui assurer. S’il en était autrement, l’interdiction d’armer serait la pire des duperies. La Grèce exprime, elle aussi, sa douleur que des territoires incontestablement helléniques lui soient enlevés en Épire ; elle ne dit pas, comme la Porte, qu’elle s’efforcera de faire valoir sur eux ses justes et légitimes revendications ; mais elle a soin d’affirmer, contrairement à ce qui a été jusqu’ici la thèse austro-italienne, qu’à ses yeux les règiemens de la question d’Épire et de la question des îles égéennes sont solidaires. Elles le sont en, effet, et si les Puissances veulent vraiment, comme nous n’en doutons pas, que la paix soit maintenue en Orient, elles doivent tenir la main à ce que leurs décisions soient respectées partout : si elles cessaient de l’être sur un point, elles risqueraient de ne l’être plus sur les autres. La Grèce s’engage d’aUleurs à évacuer des territoires actuellement occupés par elle, qui sont attribués à l’Albanie, et à ne rien faire pour encourager les résistances des populations aux volontés de l’Europe.