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pour les commerçans et les industriels et que, après tout, il ne se souciait nullement des autres contribuables ; ils ne sont pas de sa confrérie ; il les abandonne à M. Caillaux. Quoi qu’il en soit, le coup était porté et il ne pouvait pas y en avoir de plus cruel. Eh quoi ! Mascuraud, toi aussi ? C’est le cri de César lorsqu’il vit Brutus, qu’il appelait son fils, lever contre lui le poignard. César se cacha la tête dans son manteau et se laissa faire. M Caillaux, lui, s’est défendu, mais combien mal ! Il sentait l’ennemi partout autour de lui. Il n’avait plus la belle confiance qui l’avait rendu si redoutable au pauvre M. Dumont.

On s’en est aperçu au Sénat. La discussion de l’impôt sur le revenu y a été très belle ; elle a pris, dès le premier moment, une ampleur digne du sujet ; et les discours prononcés par M. Aimond, rapporteur, par M. Touron, par M. de Lamarzelle, par M. Ribot, sont au nombre des plus remarquables que la haute assemblée ait entendus depuis longtemps. Quant à M. Caillaux, on s’attendait à ce qu’il défendît purement et simplement le projet voté par la Chambre, et il semble bien qu’il avait promis de le faire, mais il s’en est gardé, ou, du moins, il ne l’a pas fait sans atténuations. Ses préférences, bien qu’il ne les ait pas exprimées d’une manière tout à fait nette, ont semblé pencher vers un amendement présenté par M. Perchot, qui permet d’introduire quelques modifications dans le projet de la Chambre et de l’ouvrir à certaines transactions. L’amendement est très simple. Il commence par supprimer d’un trait de plume tous nos impôts directs, après quoi, il les remplace par des cédules, c’est-à-dire qu’il les fait renaître sous une autre forme et sous un autre nom. Vient enfin, comme dans la plupart des systèmes, l’impôt complémentaire qui est destiné à corriger leurs imperfections, au risque quelquefois d’y ajouter. Faut-il l’avouer ? Nous n’avons jamais très bien compris l’utihté de cet impôt complémentaire. Il a pour but, dit-on, de suppléer par une surcharge à l’injustice inhérente aux impôts indirects, qui font peser un poids trop lourd sur les pauvres. Qu’on rétablisse l’équilibre, nous le voulons bien, mais les impôts directs ont précisément cet objet et, si on les trouve insuffisans, il n’y a qu’à les augmenter. Nos impôts directs ont été l’objet de bien des critiques et M. le ministre des Finances a déclaré très haut, à diverses reprises, que nul n’osait ni n’oserait les défendre. Nous sommes surpris que M. Caillaux ait osé lui-même risquer cette affirmation après l’éloquent et vigoureux discours de M. Touron. M. Touron est un lutteur qui ne recule pas devant l’expression intégrale de sa pensée ; il admire