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a vu revenir M. Caillaux et qu’on a entendu ses premiers propos, il a bien fallu se rendre compte que la menace était sérieuse et tout aussitôt les résistances se sont produites, aussi nombreuses, aussi ardentes qu’autrefois. Le commerce et l’industrie ont protesté par leurs organes naturels, Chambres de commerce, grandes sociétés, syndicats. Tout le monde consentait à payer, puisqu’on s’était mis, par une folle politique de dépenses, dans l’obligation d’augmenter les impôts ; mais contre la déclaration contrôlée, la protestation était générale, chacun se refusant à livrer à l’administration le secret de ses affaires et à se soumettre à un système qui n’échapperait à l’arbitraire que pour tomber dans l’inquisition. Le gouvernement, toutefois, ne sourcillait pas ; il restait impassible ; il en avait vu bien d’autres ! À plusieurs reprises déjà, il n’avait tenu nul compte des représentations qui lui venaient des Chambres de commerce ou des grandes sociétés industrielles, dans lesquelles il voyait volontiers, et il dénonçait, un esprit réactionnaire. Mais il avait compté sans le comité Mascuraud ! Tout le monde connaît le comité Mascuraud, le rempart de la République radicale, le défenseur de tous les ministères qui se sont succédé depuis une quinzaine d’années, l’association active, remuante, parfois encombrante, de tous les commerçans et industriels qui veulent être décorés et qui, grâce à un continuel échange de services entre le gouvernement et eux, sont arrivés à constituer dans la République une vraie puissance, en vertu du principes do ut des, qui est d’ailleurs l’âme du commerce. Le comité Mascuraud n’a pas pu ne pas entendre le bruit qui se faisait autour des projets de M. Caillaux et aussitôt il s’est senti une âme de commerçant et d’industriel : il a émis un vœu contre l’inquisition fiscale, se manifestant par la déclaration contrôlée. Dans le monde gouvernemental, on a été bien près de crier à la trahison. La surprise a été grande, la colère ne l’a pas été moins. Les journaux officieux ont tourné contre l’infortuné comité les expressions de haine et de mépris qu’ils infligeaient habituellement à d’autres. Pour la première fois, ils s’apercevaient que le comité Mascuraud n’obéissait qu’à ses intérêts, et cette découverte semblait les remplir d’horreur. Peut-être s’attendaient-ils à ce que ce comité, honteux et repentant, fît une seconde manifestation pour corriger la première ; mais il n’en a rien été. Quelques-uns de ses membres, peu nombreux, peu importans, ont déclaré qu’ils étaient absens au moment du vote, mais on n’a pas pu obtenir du comité un vote en sens contraire et la seule déclaration qu’on a arrachée à M. Mascuraud lui-même, avec beaucoup de circonlocutions où sa pensée a paru obscure, a été qu’il n’avait parlé que