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des années passées, et y relève amèrement ces mêmes « outrages » à son endroit dont il avait semblé jadis s’accommoder le plus volontiers. Sans arrêt nous le voyons déballer de nouveaux griefs ; et force est enfin à Casanova de reconnaître l’impossibilité pour lui d’apaiser la colère de ce mouton de la veille, devenu enragé. De telle sorte que, le 17 février 1794, après un mois d’inutiles efforts de pacification, — un mois pendant lequel Opiz et lui ont échangé quasiment plus de papier noirci qu’ils l’avaient fait durant les six années précédentes de leur amitié, — tristement, et comme malgré lui, il se résout à prendre congé de l’inspecteur de finances.

Après quoi les deux hommes, évidemment atteints d’une même « graphomanie, » se croient tenus d’expliquer à la postérité, chacun pour sa part, les causes de la rupture de leur liaison. Dans un long et grotesque Avis final au lecteur de cette correspondance, Opiz avoue qu’il n’abandonne celle-ci qu’à regret, faute pour lui de pouvoir supporter davantage « toute la légion de ces basses brusqueries avec lesquelles M. le Bibliothécaire s’élançait contre lui. » Et pareillement Casanova, de son côté, se déclare ravi de n’avoir plus à endurer les assauts d’un « digne publicain » qui « non seulement veut figurer dans le gymnase, mais veut encore y primer. » « La mouche à miel, écrit-il, m’a soudain appris qu’elle avait un aiguillon ; » et vraiment l’on ne saurait mieux définir le revirement que nous ont fait voir, un beau jour, les dernières lettres de l’inspecteur de finances. Aussi bien tout cet Avis final de Casanova est-il à la fois d’une justesse psychologique et d’une modération admirables. « M. Opiz, — y lisons-nous, — a cru me flatter en me choisissant pour son ami ; et en effet je l’étais, mais j’ai trouvé singulier qu’il m’en donnât le titre sans que j’eusse encore rien fait pour le mériter... Je proteste d’ailleurs devant Dieu que je vois M. Opiz homme d’honneur, et vertueux, et qu’en cette qualité je l’estime toujours. »


Dans une savante étude qu’ils ont jointe à la publication de cette correspondance, — soigneusement transcrite par Opiz et léguée par lui à la Bibliothèque de Prague, — MM. Khol et Pick nous offrent une foule de renseignemens curieux sur la vie et les œuvres du « polygraphe » de Czaslau. Et quant au partenaire de ce dernier dans l’étonnante série de lettres que je viens de résumer, il s’est chargé lui-même de nous faire connaître les principales étapes antérieures de son active carrière : car il se trouve que le vieil « ermite » de Dux, que nous avons vu s’ingéniant à rebuter les plates et « mielleuses »