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pas l’effet d’une affection mélancolique ou ambitieuse. Je connais, moi aussi, la vraie noblesse de l’homme. N’est-ce pas moi qui vous ai écrit que


Nos cœurs et nos esprits sont tout ce que nous sommes ?


« Et quant aux citations latines, croyez-bien, mon cher ami, que je ne les cherche jamais ! Si je m’en sers quelquefois, ce n’est que par hasard qu’elles coulent de ma plume ou sortent de ma bouche. »

Ainsi se poursuit, de mois en mois, cette correspondance extraordinaire, où Casanova ne se relâche pas de rabrouer l’inspecteur de finances, non plus que celui-ci de le remercier, avec mille témoignages ingénus d’un mélange de tendresse et de « vénération. » En vain Casanova l’engage à « éloigner de son style la flatterie, car l’encensoir casse souvent le nez de l’idole qu’on encense. » Opiz lui répond que, « après avoir longtemps soupiré, il a été bien heureux de recevoir sa précieuse lettre. » Si bien que, le 4 octobre 1793, le « très vénérable ami » ne se contient plus. Les quelques pages qu’il envoie à Czaslau ne sont, d’un bout à l’autre, qu’une virulente invective, où s’épanchent librement des griefs amassés peu à peu depuis des années. Il commence par s’étonner de l’ « insistance » d’Opiz « à vouloir entretenir avec lui un commerce épistolaire, » et se moque impitoyablement de la prétention du pauvre homme à remplacer auprès de lui son défunt ami le comte de Lamberg. « Nous aidons, le comte et moi, des titres réciproques et des comptes de recette et dépense que notre amitié nous a toujours empêchés de tirer au clair : cela nous hait. Outre notre bourse, que souvent nous nous ouvrions à l’envi, nous troquions nos connaissances, et nos magasins ne s’étaient pas encore vidés quand il est mort. » — Car il faut savoir qu’à une ou deux reprises l’inspecteur de Czaslau a fait la sourde oreille, lorsque son « vénérable « correspondant l’a sollicité de lui venir en aide dans ses embarras financiers. — Mais surtout, à en croire Casanova, c’est par son caractère qu’Opiz se montre fâcheusement différent du feu comte de Lamberg :


Vos qualités, mon cher ami, sont rares et excellentes : mais elles sont d’une espèce telle qu’il me sera toujours impossible de me mettre à leur unisson. Lamberg et moi, nous aimions la poésie latine, et nous en citions, à propos, de longs morceaux, mais avec la plus grande fidélité. Vous vous moquez de cela, et cela me dégoûte, je vous parle sincèrement. C’est pour cette raison que je me garde de vous citer ni Horace, ni Lucrèce, ni Juvénal, parce que j’ai peur que vous veuillez citer aussi sans vous croire obligé