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des oracles ; on lui apportait les trophées de guerre ; on lui amenait les prisonniers. M. d’Arbois de Jubainville a trouvé l’étymologie du nom de Velléda : c’est, en gaulois, la voyante. Et Velléda est l’héroïne de Chateaubriand, dans les Martyrs ; elle est aussi l’héroïne de la Druidesse. M. Schuré se propose de nous offrir « une image parlante de ce que fut l’âme celtique en Gaule avant la conquête romaine et avant l’influx du christianisme. » Sa Velléda, ses druides, ses Gaulois, il les « devine ; » il a peu de renseignemens historiques. Cependant, il a vu quelques druidesses ; il les a vues dans l’Ile d’Ouessant. Elles gardent aujourd’hui les moutons. Leurs robes et leurs fichus sont de couleur sombre. Elles ont de belles chevelures, noires ou cuivrées, qui flottent sur leurs épaules. Si vous leur demandez votre chemin, elles vous disent : « Allez tout rond ; » et elles font un geste circulaire qui englobe l’île et l’horizon. Elles parlent peu. « Mais, dans leurs yeux fixes et roux, se lit une mâle résolution de braver les rigueurs du destin. Sans cesse menacées de perdre leurs maris ou leurs fils, elles prennent le deuil d’avance. Maîtresses dans leur domaine, elles se livrent vaillamment à tous les travaux des champs, labourent, sèment et fauchent. Il faut voir avec quelle gravité elles accomplissent leurs devoirs religieux dans l’église de Lampaul, serrées les unes contre les autres, comme des oiseaux de mer, sous leurs coiffes de dimanche. Mais, aux premiers jours de l’automne, ces mêmes femmes s’acheminent en longue procession vers un cap avancé qui domine la mer. Après une prière murmurée à mi-voix, chacune jette un bouquet de fleurs dans les flots, pour apaiser les colères de l’Océan. Depuis deux mille ans, de siècle en siècle, la coutume s’est transmise. Ce jour-là, les Ouessantines redeviennent sans le savoir des druidesses. » Je n’ai pas vu les Ouessantines ; mais j’ai lu Filles de la pluie, par M. André Savignon. Ces filles de la pluie, ce sont les Ouessantines et, à proprement parler, des filles. Où M. Savignon n’a vu que des filles, M. Schuré voit des druidesses. Ne cherchons point à savoir qui, de ces deux écrivains (inégaux, d’ailleurs), ne se trompe pas ; et admirons plutôt comme diffère la réalité, d’âme en âme.

Telle est, un peu longuement, la somme des idées, et des visions, et des entrevisions sur lesquelles s’appuie le drame ou le poème en prose de la Druidesse.

Il fait nuit... Du reste, il fera nuit et jour capricieusement, au gré des incidens dramatiques, selon la volonté du poète ; des lueurs soudaines illumineront et la statue de Némésis et les acteurs, à l’occasion. Cela, au théâtre, demanderait beaucoup d’électricité, importune