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Gély était, avant 1789, du monde qui fréquentait le café Charpentier. Les familles étaient liées.

Cette petite Louise aima-t-elle Danton ? On a dit qu’elle l’épousa par peur ; une petite-nièce de Louise, Mme Pierre Petit, l’affirmait encore dernièrement : Louise n’eût accepté que « par terreur » une union pour laquelle elle n’eut jamais que de l’ « horreur. » Rien ne semble moins probable. Que Louise, restée veuve à dix-sept ans, se soit remariée, trois ans après, avec Dupin, futur préfet de l’Empire, dont elle aura « les trois Dupin » de la monarchie de Juillet, et que, remariée, elle n’ait jamais parlé de Danton, dont le souvenir était fort légitimement désagréable au baron Dupin, cela ne prouve pas grand’chose. Deux faits au moins, plus vérifiables, prouvent que les Gély et Louise elle-même avaient vu sans « horreur » cette union : c’est que, Danton mort, Gély accepta (un document le révèle) de faire partie du conseil de famille des enfans du premier lit ; c’est ensuite que Louise se retira à Arcis près de sa belle-mère, où elle était encore le 7 thermidor an III. Des relations amicales existaient entre les trois familles Danton, Charpentier et Gély. Le milieu et l’homme étaient, avant 1793, familiers à Louise.

Elle avait seize ans, elle était charmante. Le peintre Boilly a laissé une toile où Louise est peinte en pied, montrant des gravures au petit Antoine Danton. Ce n’est pas la figure pleine et vigoureuse de Gabrielle, telle que David nous a permis de la connaître. Louise est une jolie blonde, à qui le peintre (qui n’est point un David) a donné l’allure maniérée qui était sa façon. Mais tout est gentil chez la jeune femme, la figure aux traits fins, le teint frais, la bouche et les yeux sourians, la taille élégante dans les vêtemens clairs. « La femme était jeune et belle, » dit la duchesse d’Abrantès. Danton en fut vite amoureux ; il était inflammable ; il la désira ; elle le subjugua. Sur l’échafaud, son image lui arrachera un sanglot d’attendrissement. Elle n’avait point dû rebuter cet amour.

Mais elle était pieuse, elle voulait qu’on se mariât devant un prêtre, un vrai prêtre. Danton y consentit. Cette affirmation de Michelet (qui tenait le fait de la famille) n’est pas si invraisemblable qu’elle le paraissait jadis. Nous savons qu’athée, Danton n’était point sectaire. La tolérance dédaigneuse qu’à la tribune il affectait pour les prêtres, le préparait à céder à cette fantaisie de jolie enfant. Il consentit même, dit-on, à s’aller