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concrètes, le tribun redevenait l’avocat des conseils qui jadis épluchait les dossiers.

Peut-être, après tout, pouvait-on encore détacher l’une de l’autre les Puissances allemandes, peut-être ramener l’Angleterre. En attendant, une seule ressource demeurait pour maintenir en Europe un reste d’influence, obtenir l’amitié des petites Puissances (ç’avait été la politique traditionnelle de la France), Suède, Danemark, Venise, Turquie, qui serviraient à contenir Autriche, Prusse et Russie.

Mais rien de tout cela ne se pouvait tenter, si l’on ne rassurait quelque peu l’Europe en étalant quelque sagesse.

Danton avait, dans un moment d’exaltation, plus que personne contribué à enlever le vote qui, consacrant les limites naturelles, avait, autant que la politique de propagande, excité au paroxysme les alarmes des Puissances, grandes et petites. Mais il ne s’embarrassait guère de ses propres déclarations. Il en ferait d’autres, voilà tout, qui permettraient peut-être d’aboutir à la paix. Cette paix, il y aspirait, ne fût-ce que pour faire tomber ce régime de salut public, expédient provisoire et scabreux auquel il faudrait mettre fin pour « organiser la République » qu’ensuite on « ornerait. »

Ces pensées de pacificateur, qui percent à travers les discours et se révèlent par les démarches de Danton pendant ses trois mois de pouvoir, le rendaient à la vérité incommode à Robespierre. Celui-ci ne voyait pas sans une inquiète jalousie Danton installé au Comité, alors que lui ni ses amis ne s’y asseyaient. Son heure viendrait-elle, si tout s’apaisait ? Grâce à lui, tout un monde se répandait contre Danton en murmures, en attendant mieux : un journal signalait, dès le 6 avril, l’allure tortueuse de Danton : il visait à « la dictature. » Un Marseillais écrira le 5 juin que « Danton laisse passer le bout de l’oreille. » Les Clubs, la Commune le surveillaient d’un œil méfiant.

Captif de son ancien personnage, contraint par la crainte de paraître tiède, il était amené à dissimuler ses sentimens les meilleurs et ses plus sages idées comme des fautes, et de tout couvrir du tapage démagogique. Garat, qui le vit beaucoup, nous le montre « jetant des cris de vengeance qui ébranlaient les voûtes du sanctuaire des lois et insinuant des mesures par lesquelles les vengeances pouvaient avorter. » L’ancien ministre ajoute : « Ses transports ne sont plus qu’hypocrisie ; le besoin et