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voulu un roi, c’était sur l’instigation de ces Girondins qui sans cesse l’entouraient. « Oui, eux seuls, continuait Danton, eux seuls sont les complices de la conjuration. » Les tribunes et la Montagne crépitaient d’applaudissemens : « Et c’est moi qu’on accuse ! » « Eh bien ! je crois qu’il n’est plus de trêve entre la Montagne, entre les patriotes qui ont voulu la mort du tyran et les lâches qui, en voulant le sauver, nous ont calomniés dans la France. »

Alors il se lâcha et ce fut un flot où roulèrent les accusations et les récriminations ; il réfuta des calomnies sur sa probité ; il revint sur les affaires de Belgique, sur son attitude en 1792 ; il se déclara prêt à parler devant la Commission, mais il demanda qu’on « examinât la conduite de ceux qui avaient empoisonné l’opinion et, pour sauver les restes du royalisme, entravé l’action révolutionnaire et la défense nationale. » « Plus de composition avec eux ! » On applaudit encore, et il termina par une de ces phrases imagées qu’il affectionnait tant : « Je me suis retranché dans la citadelle de la raison ; j’en sortirai avec le canon de la vérité pour pulvériser tous mes ennemis. »

Il n’avait pas fait trois pas, descendant de la tribune, qu’il fut assailli par la Gauche qui, tout entière, se précipitait sur lui, l’embrassait, le portait en triomphe. « Votre Danton ! » criera tout à l’heure Guadet. Oui, il était redevenu leur Danton : ils l’embrassaient à l’étouffer. Levasseur nous dit très sincèrement que lui et ses amis le reprenaient. « Quoique assis au sommet de la Montagne, dit-il, il avait été jusque-là, sinon l’homme de la Droite, du moins, en quelque sorte, le chef du Marais, » voulant « établir l’union entre les Girondins et la Montagne. » Cette déclaration de guerre à la Gironde était « le signal d’une victoire certaine. » A la joie délirante de la Montagne, Lasource et ses amis purent mesurer la faute immense qu’ils avaient commise. De cet homme qu’ils avaient pensé accabler, ils faisaient un triomphateur, et son triomphe était fait de leur défaite mortelle.


La lutte était tellement engagée que, dès le 2 avril, Danton, tout à fait remis d’aplomb, réclamait aux Jacobins le rappel des conventionnels montagnards en mission, car il fallait que « tous les patriotes se ralliassent à la Montagne pour faire