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Mais ce n’était plus le Danton de naguère. Les accusations violentes des Girondins, la nécessité où il avait cru être de voter contre sa conscience la mort du Roi, les enfiévrantes missions de Belgique, les soucis que causaient à son patriotisme les dangers de la patrie, mais, par-dessus tout, la mort de la femme aimée, avaient jeté cette âme trouble dans une sorte de tempête où devaient sombrer les bonnes résolutions de l’automne de 1792.

Lorsque, le 8 mars, Georges-Jacques Danton reparaissait, après cinq semaines d’absence, à la tribune de la Convention, chacun fut frappé de l’horrible fureur qui décomposait ses traits. Point n’était besoin de cette émouvante particularité pour que, dans la Convention, courût une sorte de frisson. L’homme de la défense nationale, le « Titan » de 1792 ressuscitait.

On allait en effet revoir le Danton à la fois patriote et révolutionnaire. Mais derrière le tribun enflammé, l’autre homme subsistait. A travers cette terrible année 1793-1794, nous allons voir Danton aux prises avec ses « ennemis, » mais, — ce qui est plus intéressant, — aux prises plus encore avec lui-même. Le tragique conflit du tribun passionné, âpre, brutal et du politique avisé, clairvoyant, facilement « magnanime, » suivant le mot de Royer-Collard, fait l’intérêt psychologique de cette terrible page de biographie.


II. — LA CRISE DE FRÉNÉSIE

« Nous avons, citoyens, fait plusieurs fois l’expérience que tel est le caractère français qu’il faut des dangers pour trouver toute son énergie. Eh bien, ce moment est arrivé ! »

Toute l’Assemblée écoutait, haletante, ce revenant. Debout, dominant de sa taille la tribune de l’Assemblée, l’œil enflammé, la main droite tendue, la gauche embrassant la hanche, il communiquait sa flamme à l’Assemblée.

« Oui, il faut le dire à la France entière : si vous ne volez pas au secours de nos frères de Belgique, si Dumouriez est enveloppé, si son armée était obligée de mettre bas les armes, qui peut calculer les malheurs incalculables d’un pareil événement ? La fortune publique anéantie, la mort de 600 000 Français pourrait en être la suite. Citoyens, vous n’avez pas une minute à perdre ! » Il fallait que Paris « donnât à la France l’impulsion qui déjà « avait enfanté des triomphes. » Des commissaires