Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

série de scrutins, de la nouvelle Assemblée. Peut-être le faut-il regretter. L’aventure de juillet 1791, — ainsi qu’il lui arrivera souvent, — l’a forcé à réfléchir. Cette fois, le bourgeois a dû morigéner le tribun, et le tribun peut-être ne demande qu’à prendre, une fois député, une attitude moins démagogique. On peut le croire quand, élu quelques mois après substitut du procureur de la Commune, il prononce, le 20 janvier 1792, un discours qui, pour le biographe de Danton, est un des plus curieux documens qui lui soient fournis sur la psychologie de l’homme.. Rejetant, chose curieuse, sur son physique (car « la nature lui a donné en partage les formes athlétiques et la physionomie âpre de la Liberté ») sa réputation de violence, il proteste qu’il « n’a consenti à paraître exagéré que pour n’être point faible, » et, après s’être justifié de toutes les accusations portées contre lui, s’affirme résolu à servir fidèlement le Roi que, le 23 juin précédent, il déclarait « criminel ou imbécile. »

Un mot de son discours permet de comprendre une des causes de tant de sagesse. Il loue le Roi d’avoir, en appelant son prédécesseur. Cahier de Gerville, au ministère de l’Intérieur, donné ainsi à la Constitution « une nouvelle preuve de son attachement. » N’a-t-il pas pensé qu’il y avait là un précédent à souligner ? Il est de fait que, lorsqu’en mars 1792, s’ouvrira la crise ministérielle déterminée par le départ de Narbonne, son nom sera prononcé, soit pour les Sceaux, soit pour l’Intérieur.

Pourquoi les députés de la Gauche, appelés alors à « faire le ministère, » préféreront-ils imposer au Roi l’obscur Duranthon, le médiocre Roland ? C’est que, peu de jours avant, alors que, dans ses discours précédens, Danton s’était vraiment tenu dans la note modérée, il a commis une maladresse absurde : à propos d’un incident fort médiocre, le tribun (l’aventure se répétera) a soudain fait tort au politique : dans un discours d’une insolence inouïe qui a scandalisé les Jacobins eux-mêmes, il a attaqué le Roi et s’est rendu impossible à l’heure où Brissot, le leader girondin, était certainement disposé à lui faire attribuer le portefeuille de l’Intérieur. Et Danton manque le ministère.

Cette déception le rejette dans l’opposition violente : sa rancune est grande contre le Roi, mais bien plutôt contre Brissot et les Girondins, et le voilà qui, depuis quelques semaines, suspect de tiédeur à Robespierre, se jette littéralement dans ses bras.