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sincérité et le repos de mon cœur que tu m’as restitués seront désormais pour toi seule. Le bien qui en résultera pour les autres et pour moi t’appartiendra tout entier de même. Crois-moi, je me sens tout autre. Mon ancienne bienfaisance (Wohllætigkeit) se réveille et, avec elle, la joie de ma vie. Tu m’as rendu la jouissance dans l’action de faire le bien, sensation que j’avais entièrement perdue. Je le faisais par instinct et n’en recueillais plus nulle joie. Adieu ! »

Le « vous » revient dans le billet du 7 avril 1781 et y persiste même jusqu’à la fin. Le 14 mai : « Au milieu de maints travaux accablans, je crie vers toi que je t’aime. Parfaite, ce que tu ne cesseras jamais d’être, crée-moi et façonne-moi donc aussi à demeurer digne de toi ! » Obligé de se rendre avec le duc a Ilmenau, Gœthe semble même y renier pour cette fois les souvenirs de folle et joyeuse jeunesse qui se rattachaient pour lui à cette petite ville sylvestre du duché et qui seront plus tard si chers à son cœur. Il écrit en effet le 2 juillet 1781 : « J’ai soif d’être loin de ce lieu. Les fantômes d’une période aujourd’hui terminée ne m’y laissent pas une heure joyeuse. Je n’ai pu gravir aucune montagne, car les souvenirs désagréables les marquent toutes d’une souillure. Comme il est bien que l’homme meure, ne serait-ce que pour effacer certaines impressions en lui et reparaître ensuite purifié à la lumière du jour. Ton amour est la seule chose que je veuille garder à jamais. »

Le 1er janvier 1782, il avoue qu’il était tenté de rester à la maison, mais qu’il en sortira néanmoins parce qu’il voudrait remporter une victoire sur lui-même, afin de commencer par là dignement l’année nouvelle. Trait stoïcien qu’il faut retenir pour comparer au besoin le Gœthe de 1782 à celui de 1788, si éloigné de cette disposition ascétique. Le 2 mars, il envoie à l’amie le nouveau Théâtre allemand, traduit en français par Friedel, recueil qui contient son Clavijo et sa Stella. Il ajoute, en français, cette galanterie : « Vous y trouverez une tragédie d’un M. Gœthe, qui s’est acquis une grande renommée par ses écrits et qui naquit en 1749 pour vous aimer en 1782 et toute sa vie. » Le 3 avril : « J’essaye de mettre en œuvre tout ce que nous avons discuté récemment à propos de la conduite, du savoir-vivre, de la tenue ou de la convenance... Combien ce jeu m’est agréable puisque je n’ai nulle ambition ni vœu que de te plaire et de t’être à jamais bienvenu... » On voit par le début de ce dernier