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VIII

Nous remarquerons tout d’abord à quel point le ton des trois billets dans lesquels s’encadre l’adjectif fatidique est paisible. Le vous y alterne avec le tu, comme c’est l’usage du poète. La lettre à Lenz, la pièce de gibier rôti, le colifichet destiné à la dame de cour y trouvent tout naturellement leur place. Est-ce là l’accent d’un amant au comble de ses vœux après cinq ans et demi de stage préalable ? — En outre, l’apostrophe à la « nouvelle » ne peut-elle se rapporter à un incident de détail, à une phrase prononcée par l’un des amoureux durant la promenade en voiture du 22 mars, phrase qui aura frappé Goethe et lui sera revenue le lendemain à la mémoire ? Peut-être une banale comparaison entre leur affection rajeunie par l’absence et le gracieux renouveau de la nature éveillée par un printemps précoce ?

Mais encore, à y regarder de plus près, un fait « nouveau » nous est connu qui s’était réellement produit peu auparavant entre les deux promeneurs de Weimar. C’est en effet de Neunheiligen que Gœthe avait écrit, le 12 mars, à la veille de son retour, cette phrase qui dut peser lourdement par la suite à sa conscience inquiète : « Je voudrais qu’il existât un vœu ou un sacrement quelconque qui me fît aussi tien de façon ostensible et légale. Combien ce sacrement me serait précieux ! Et mon noviciat a été assez prolongé cependant pour me donner le temps de la réflexion ! » Passage que Charlotte devait plus tard souligner amèrement de sa main dans la lettre originale où il figure, quand il lui fallut constater le total oubli d’un si solennel engagement chez celui qui l’avait spontanément proféré. Si elle a pris au sérieux, comme on ne saurait s’en étonner, cette parole si caractéristique en effet de son ami, comment n’aurait-elle pas été pour lui une femme nouvelle, au moins par l’affection expansive et par l’ouverture de cœur, au lendemain d’un tel mariage spirituel ? En juillet de la même année, le poète précisera d’ailleurs leur situation réciproque en ces termes : « Nous sommes mariés, n’est-il pas vrai, c’est-à-dire unis par un lien dont l’étiquette porte amour et joie, dont la moisson ordinaire est croix, soucis ou misères. Adieu, mes souvenirs à Stein ! »

Rien donc dans les lettres de Gœthe au printemps 1781 qui