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apprend à se vaincre et à se tenir en bride. Il traite, dit-il, ses occupations de toutes sortes comme des exercices salutaires : il accroît chaque jour l’importance de son gain parce qu’il use en bon économe du trésor amassé par ses soins jusque-là. Morale stoïcienne et chrétienne au premier chef que cette morale-là : c’est celle de Sénèque et de Marc-Aurèle aussi bien que de François de Sales ou de Fénelon. Aussi le conseiller du duc de Weimar commence-t-il de son propre aveu à connaître les hommes et à ne leur demander jamais plus qu’ils ne peuvent donner. C’est assez dire qu’il ne croit plus à la bonté naturelle, assise de la psychologie mystique qui est celle du romantisme de Rousseau, car une pareille illusion a vite fait de s’évanouir dans l’atmosphère réaliste d’un cabinet ministériel. Or, le poète que Charlotte nous montrait naguère absorbé en apparence par les chevauchées, les danses et les glissades de l’hiver, s’est mis franchement aux affaires : il y a poussé le duc à son exemple, et tout le monde va rendre à bref délai justice au bon vouloir dont il fait preuve, à son application, à son heureuse influence sur l’esprit du prince.

La « pureté » devient son idéal et le mot reparaît souvent sous sa plume à cette époque de sa vie. C’est ainsi qu’il écrit à Charlotte en août 1779 : « Puisse l’idée de pureté qui s’étend jusqu’aux morceaux de nourriture que je porte à ma bouche devenir en moi sans cesse plus déterminante. » Au total, un bel ensemble de réformes dans son brillant, mais tumultueux organisme psychique : il résume son effort en traits heureux dans une lettre à sa mère qui est datée du même mois d’août 1779 et fait prévoir sa prochaine visite à Francfort : « J’ai tout ce qu’on peut désirer, ayant une vie par laquelle chaque jour je me sens grandir. Et cette fois, je vous reviendrai sain de corps et d’esprit. » C’est ici une allusion à ses fâcheux retours de Leipzig, de Strasbourg et même de Wetzlar. « Je vous apporterai un cœur que rien n’agite, un esprit que rien ne préoccupe, une énergie qui exclut les velléités troubles. Je vous reviendrai comme un être aimé de Dieu. J’ai dépassé la moitié d’une vie humaine. (Il va fêter son trentième anniversaire quelques jours plus tard.) J’ai puisé dans les épreuves du passé plus d’un utile enseignement pour l’avenir. J’ai tenté d’armer mon âme contre les souffrances qui peuvent m’être réservées encore. Si je vous trouve heureux tous deux, je retournerai ensuite avec plaisir à