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Mme de Stein gagna la bienveillance d’un homme alors célèbre, à qui nous avons emprunté déjà quelques traits de son portrait physique et moral, le médecin Zimmermann dont il nous faut préalablement scruter le caractère.


III

Originaire de Brugg, près de Berne, ce Suisse, émule du grand guérisseur Tronchin, s’était fait connaître à la fois par quelques écrits philosophiques, qui le mirent en relations avec tous les penseurs de l’Allemagne, Haller, Bœhmer, Lavater, Wieland et par quelques cures retentissantes, qui lui créèrent une immense clientèle, surtout une clientèle princière. Il devint bientôt, à Hanovre, le premier médecin de l’Electeur, roi d’Angleterre : situation qui lui laissait des loisirs parce que George III n’habitait jamais sa capitale allemande. La figure régulière et grave de Zimmermann, la parfaite distinction de ses manières et de son esprit lui donnaient grande influence sur le moral de ses malades. Et pourtant, ce médecin de nerveux était lui-même, en 1773, un névropathe épuisé par une douloureuse opération aux entrailles et surmené par les obsessions ininterrompues de sa clientèle. Les Mémoires de Gœthe mentionneront son passage à Francfort où il fut l’hôte des parens du poète pendant l’été de 1775, et ces pages nous surprendront en nous révélant dans ce charmeur un véritable tyran domestique. Son fils perdit la raison de bonne heure, et sa fille se trouvait près de lui si malheureuse qu’elle supplia la Conseillère Gœthe de la garder auprès d’elle pour la dérober au supplice quotidien qu’elle endurait sous le joug paternel.

Ce personnage énigmatique, fait de singularités et de contrastes, s’intéressa vivement à Charlotte dont il était plus capable que tout autre de comprendre par expérience la dépression morale ; dépression d’autant plus douloureuse que les causes en étaient plus banales, mais qui ne revêtit pas pour longtemps chez elle une forme aiguë, il faut s’empresser de le dire, car nous verrons que l’énergie faisait le fond de son caractère et que, sans jamais venir à voir la vie en rose, elle la regarda le plus souvent en face. Elle atteignit en effet un âge avancé sans avoir jamais plié sous le faix d’épreuves réitérées de toutes sortes. Quoi qu’il en soit, Zimmermann avait dû subir bien profondément