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quelques-uns des Etats, ils étaient même interdits, parce qu’on les soupçonnait de répandre le Socialisme et le Communisme.

« En réalité, ces mots n’avaient aucune signification pour nous autres, ceux de la jeune génération. Quelques-uns d’entre nous, peut-être, pouvaient avoir lu les écrits de Weitling (socialiste utopiste allemand de 1840 à 1846), sur le Communisme, mais ils étaient une exception.

« Je n’ai pas souvenance d’un seul de mes camarades à Leipzig, à l’époque, qui connût le Manifeste communiste ou le rôle joué par Marx et Engels dans le mouvement révolutionnaire. C’est dire que les ouvriers de cette époque n’avaient pas la conscience de leurs intérêts de classe, ni de l’existence d’une « question sociale. » Ils adhéraient volontiers aux sociétés que les libéraux les aidaient à former et considéraient ces libéraux comme leurs amis les plus dévoués. »

Mais la secousse, une fois donnée, s’est prolongée dans le temps et s’est étendue dans l’espace : cette heure inaugure une ère. Dorénavant il y aura un esprit ouvrier, une « conscience » ouvrière.


En disant « le mythe » de la classe ouvrière, je n’ai donc point du tout voulu dire que la classe ouvrière n’existe pas, qu’il n’y a pas de classe ouvrière. Un mythe, d’après les dictionnaires, est « un récit traditionnel attribuant à certains événemens, à certains personnages un caractère surnaturel ; — un récit relatif à des temps que l’histoire n’éclaire pas, et contenant soit un fait réel transformé en notion religieuse, soit l’invention d’un fait à l’aide d’une idée. » D’après M. Georges Sorel, à qui nous avons emprunté l’application que nous avons faite de ce terme, « les hommes qui participent aux grands mouvemens sociaux se représentent leur action prochaine sous forme d’images de bataille assurant le triomphe de leur cause. Il propose « de nommer mythes ces constructions dont la connaissance offre tant d’importance pour l’historien : la grève générale des syndicalistes et la révolution catastrophique de Marx sont des mythes... » — « Les mythes révolutionnaires actuels sont presque purs ; ils permettent de comprendre l’activité, les sentimens et les idées des masses populaires se préparant à entrer dans une lutte décisive ; ce ne sont pas des descriptions de choses, mais des expressions de volonté. »