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Dès que nous en aurons la volonté, un moment suffira pour que justice soit faite. » « Lorsque nous le voudrons, » disait-on en 1873 ; « dès que nous en aurons la volonté, » dit-on en 1894 ou 1895. Mais il semble que ce ne soit pas, dans l’intervalle, la volonté qui ait fait défaut. A cette dernière date de 1894, pour n’avoir pas à choisir entre les deux routes, on prend les deux en même temps, non point directement la route de la force, mais celle de l’association ouvrière, qui y mène ou du moins qui n’en détourne pas. On va plus délibérément à la conquête des pouvoirs publics par le suffrage universel, et l’on se garde de négliger la pratique de l’association, à laquelle d’ailleurs le parti républicain pousse les ouvriers, avec une sympathie qui n’est peut-être pas exempte de toute arrière-pensée électorale. » Les journaux radicaux reprochent souvent aux ouvriers de ne pas s’associer, de ne pas mettre à profit, en attendant une loi, la tolérance accordée par l’Empire et maintenue par le gouvernement nouveau. La République française leur présente un programme complet d’organisation : d’abord les chambres coopératives se formeront isolément, puis viendront les fédérations des divers métiers dans la même ville et des métiers similaires dans toute la France. Le journal de Gambetta prédisait ainsi, remarque M. Georges Weill, vingt-cinq ans à l’avance, l’œuvre que cherchent à réaliser aujourd’hui les Bourses du travail et les Fédérations nationales.

A vrai dire, ni Turgot ni la Constituante, en frappant la corporation, n’avaient pu tuer à jamais l’association, parce que ce qui est nécessaire est immortel. Dès l’an XI, il avait été question de rétablir les corporations elles-mêmes, on en trouve la trace dans le rapport de Regnault de Saint-Jean-d’Angely au Corps législatif, d’où sortit la loi du 22 germinal. En 1805, 300 marchands de vin l’avaient demandé par voie de pétition, et Napoléon, paraît-il, songeait à le faire en 1812. Au cours de cette période du Consulat et de l’Empire, deux communautés au moins avaient été reconstituées ; celle des boulangers (arrêté consulaire du 19 vendémiaire an XI) et celle des bouchers (décrets de germinal an VIII et de l’an X). Sous la Restauration, par une pente naturelle, ce retour au passé, dont il eût relevé une des ruines, avait gagné quelque faveur, comme en témoignent le rapport de M. Feuillant à la Commission du budget (1816) et, malgré l’opposition de MM. Pillet-Will, Davilliers,