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Bucarest comme intangible, ne permet effectivement pas qu’on y touche, elle reste l’arbitre de la paix dans les Balkans. Tout le monde semble d’ailleurs reconnaître ce que sa situation morale et matérielle a de respectable et, pour dire le mot juste, de prépondérant. Aussi M. Venizelos et M. Pachitch sont-ils en ce moment à Bucarest, où leur rencontre n’est évidemment pas un fruit du hasard. Quelques personnes veulent même y voir la manifestation d’une entente qui se serait produite entre les trois pays ou qui serait sur le point de se faire. Rien ne serait plus vraisemblable qu’une entente de ce genre. On ne peut rien dire des conditions dans lesquelles elle pourrait se réaliser, mais il faut souhaiter qu’elle soit faite, ou qu’elle se fasse, car rien ne serait plus favorable au maintien de l’équilibre balkanique, tel que le traité de Bucarest l’a établi. Il est question d’une prochaine alliance de famille entre la Roumanie et la Grèce : le fils du roi Georges épouserait une princesse roumaine. Ce serait un lien de plus entre les deux pays, et, s’il est vrai que la politique aujourd’hui se poursuive en dehors des alliances de ce genre, ces alliances, au moment même où elles se concluent, ne le font que si la politique le permet. On peut donc y voir ici un heureux indice pour le présent.

Et c’est dans le présent que nous vivons : on peut même dire que nous vivons au jour le jour. En ce moment, nous attendons la réponse définitive que, après y avoir mûrement réfléchi, les Puissances de la Triple Alliance doivent faire aux propositions de sir Edward Grey sur les questions d’Albanie et des îles : car il n’y a pas à s’y tromper, les Puissances de la Triple Entente délibèrent aujourd’hui et se mettent d’accord d’un côté, et les Puissances de la Triple Alliance en font autant de l’autre. Nous aimions mieux l’ancienne forme où les six Puissances délibéraient en commun dans la Conférence des ambassadeurs à Londres ; mais on y a renoncé et il faut en prendre son parti. Pour atténuer, au moins dans la forme, un inconvénient que tout le monde aperçoit, les Puissances de chaque groupe, lorsqu’elles se sont entendues sur une démarche à faire, y procèdent séparément au lieu de le faire collectivement ; mais cela ne trompe personne, il est évident qu’on négocie de groupe à groupe, après l’avoir fait dans l’intérieur du groupe. Soit. On peut, et c’est le but qu’on n’a pas cessé de se proposer, arriver par-là à une entente générale : seulement le procédé est plus lent et peut-être aboutit-il à des résultats moins clairs. Les propositions de sir Edward Grey relativement à l’Albanie et aux îles ont produit tout d’abord l’impression d’être très sensées et cette impression ne s’est point dissipée, elle s’est au contraire précisée