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flottille de guerre, les soldats frappent indistinctement jurisconsultes et marchands, marabouts et lettrés : lesquels, pendant tout l’été, adressent secrètement des subsides au chef de leurs mercenaires Touareg. Il se précipite, le 10 octobre, sur la forteresse de Djouder et le quartier tripolitain ; mais y perd la vie. Sa tête coupée apparait sur les places, sans litham et ainsi méconnaissable pour les siens mêmes, au bout d’une pique. Comme des rumeurs s’élèvent, les Marocains sabrent les crânes allongés des Bambaras dans les rues, balafrent les nez épatés des Songaïs, percent les poitrines maigres des Touareg, et laissent derrière eux des blessés qui saignent dans le sable, des agoni-sans crépus qui se crispent au soleil, des cadavres noirs pour les mouches. Dans les mosquées où s’entassent fugitifs et protestataires, le massacre éclabousse les piliers. Yatagans et cimeterres abattent les plus vaillans. Et cela dure plusieurs semaines. Le siège du quartier tripolitain continue. Les Touareg flambent les chaumes des faubourgs.

Sans cesse les pires exactions irritent les citoyens revenus après les troubles. Avec leurs marabouts, ils se rebiffent. Ils s’insurgent. Alors on les décime, et dans la nef de Sankoré même. Les vainqueurs perquisitionnent dans toutes les maisons de briques, au fond des cours étroites, sur les escaliers de glaise, derrière les coffres des chambres obscures et basses, afin de découvrir des armes. Ce faisant, les soldats pillent les bibliothèques. Ils dispersent les seize cents volumes du très illustre ethnographe et jurisconsulte Ahmed-Baba. Chargé de chaînes et la jambe rompue, lui-même doit, par le Sahara, se rendre prisonnier à Marrakech, en compagnie de ses collègues. Non sans avoir vu saccager leurs maisons opulentes, emporter leurs trésors, leurs marchandises précieuses. Cent mille pièces d’or sont envoyées au Maroc.

Les soldats de l’Atlas vendent cinq ou dix sous les femmes et les enfans des nomades exterminés, des Songaïs et des Peuhls en révolution permanente.sur les rives du Niger. Les têtes des meneurs arrivent à Tombouctou. Basanées, noires ou ambrées, ovales, prognathes, camuses ou rectilignes, elles pourrissent, à bout de pique, sous leurs tignasses copieuses, leurs laines courtes, leurs cheveux en cadenettes.

Les pachas élus par les troupes marocaines du Soudan, à partir de 1612, administrent plus mal encore que ceux de Fez.