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C’est le ministère du néant. Toute la question est de savoir ce qu’il laissera se défaire, ou ce qu’il travaillera à défaire lui-même sur le terrain électoral. Que ce soit notre vieux système financier issu de la Révolution française, rien n’est plus certain. Mais sera-ce aussi la loi de trois ans ? Rien ne serait plus inquiétant. Armé de ses préfets, quels candidats soutiendra le gouvernement ? Seront-ils les partisans ou les adversaires de la loi militaire ? La question se pose à tous les esprits prévoyans, et elle y fait naître une grande anxiété.


Nous avons entendu, il y a quelques jours, l’opinion de M. Lloyd George sur l’inutilité et même sur le danger d’augmenter la flotte anglaise. Ce qui excuse un peu le chancelier de l’Échiquier, c’est qu’il paie la dépense et qu’elle est considérable ; mais d’autres considérations doivent entrer en ligne de compte, et sir Edward Grey les a présentées dans ce langage simple et fort qui est celui des ministres anglais. Le 3 février, au banquet de la Chambre de commerce de Manchester, il a, faut-il dire répondu à son collègue ? On a quelquefois exagéré les divisions du Cabinet britannique : cependant elles existent, mais le bon sens et la bonne politique ont jusqu’ici toujours fini par en triompher. L’opinion de sir Edward Grey est aussi celle du président du Conseil, M. Asquith ; c’est celle qui est appliquée, en fait, par le gouvernement.

Sir Ed. Grey ne saurait d’ailleurs être suspect de tendances belliqueuses ; comme tous les radicaux anglais, il réprouve la guerre et il n’en parle qu’avec horreur ; mais il n’a pas encore trouvé le moyen de la supprimer, et il ne croit nullement, avec M. Lloyd George, qu’il suffirait de donner le bon exemple du désarmement pour que les autres s’empressassent de le suivre. Sa conviction est, au contraire, qu’ils en profiteraient pour armer davantage et s’assurer définitivement l’avantage. Si l’Angleterre, dit-il, diminuait ses constructions navales, l’Allemagne, qui suit une ligne de conduite indépendante et dont le programme naval est arrêté ne varietur, ne construirait pas un navire de moins. Et il en serait ainsi des autres nations. En réalité, ces constructions, qu’on déclare exagérées et qui sont assurément très onéreuses, sont la meilleure garantie du maintien de la paix. Ce sont là des vérités de bon sens qu’on est presque confus d’avoir à énoncer, mais on est bien obligé de le faire comme contrepoids aux affirmations qui se produisent en sens opposé.

Tel est le présent : quel sera l’avenir ? Sir Edward Grey se demande si le moment viendra où, lorsque deux nations seront sur le