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à part elle, en extase : « Il m’aime ! » Un aveu d’amour peut s’exprimer de bien des manières, et il est toujours délicieux à un cœur de femme. On pourrait croire que sachant enfin ce qu’elle veut savoir, et puisqu’elle est aimée de celui qu’elle aime, Régine va mettre un terme à ce jeu lassant et énervant, rassurer le jeune homme et finir la comédie. Mais alors elle ne serait plus elle-même, et, rentrant dans le bon sens et la raison, elle n’aurait plus de raison d’être.

Au troisième acte, le jour du mariage. Es sont depuis un mois à la campagne, dans une propriété de Normandie. Ils se font des scènes tous les jours, s’en désespèrent et s’en réjouissent, s’en désolent et ne peuvent s’en passer ; amoureux de plus en plus romantiques, ils ont besoin d’une atmosphère d’orage et soupirent après les orages désirés. Paul a juré qu’il épouserait et se tuerait incontinent. Régine a trouvé dans sa chambre un revolver posé auprès d’une enveloppe dont elle a lu la suscription : « A ma femme. » Donc il se tuera. Et elle a trouvé, dans le courrier, une carte postale d’un hôtelier répondant à une demande d’appartement pour lune de miel. Donc il ne se tuera pas. J’abrège. La cérémonie nuptiale a eu lieu. Régine a dit à son mari toute la vérité, — enfin ! — rien que la vérité, une vérité où il n’y a plus de mensonge. Enfin ils sont sûrs d’eux-mêmes ! Ils s’aiment, il n’y a plus place pour le doute, pour le soupçon, pour l’inquiétude. Alors Paul Bréan se tue. Et cette fois il ne se manque pas. Et pour la première fois il fait ce qu’il devait faire. Cette absurdité est d’une parfaite logique. Du moment que ces deux êtres n’ont plus à se torturer l’un l’autre, ils n’ont plus rien à faire ici-bas : ils n’ont qu’à disparaître… Ainsi les premières clartés du jour dissipent les ombres de la nuit : les fantômes du cauchemar s’évanouissent.

Qu’est-ce que l’auteur a voulu dire ? Car il est inadmissible qu’un écrivain de cette valeur se soit proposé uniquement de soumettre nos nerfs à une rude épreuve et de les porter à leur maximum de tension. Il y a une idée dans la Danse devant le miroir, une idée ingénieuse et profonde, et même une idée claire : ne feignons pas de ne pas l’apercevoir. Les deux héros de M. de Curel sont les héros et les victimes de la recherche psychologique. L’un et l’autre, elle surtout, ils sont les crucifiés de l’analyse morale. Elle a voulu savoir ce que pense et ce que sent vraiment, peut-être à l’insu de lui-même, celui qui prétend l’aimer. C’est à la poursuite de cette découverte qu’elle s’est acharnée, affolée, comme d’autres l’ont fait avant elle et qui y ont échoué pareillement. Car c’est une vieille histoire et les anciens en avaient fait le mythe délicieux et amer de Psyché : « Louise. L’âme ressemble à une forêt qui, de