Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/943

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comprennent. Régine comprend que Paul l’aime, et que, résolu à se tuer, il a occupé comme il a pu sa dernière soirée. Elle a probablement lu Rolla, et se souvient que Jacques Rolla, ayant dissipé en deux ans un joli patrimoine, a passé sa dernière nuit avec une fille de joie : ce qui vaut à Voltaire une sévère remontrance. Puisque Paul l’aime et qu’il est ruiné, eh bien ! qu’il l’épouse et qu’il travaille ! Mais travailler, c’est ce que Paul n’accepte à aucun prix : le travail n’entre pas dans ses plans d’existence. Il peut épouser une femme riche, et Régine est riche, très riche. Oui, mais c’est précisément parce qu’elle est très riche qu’il ne peut l’épouser. C’est une impasse, comment en sortir ?

Il y aurait un moyen, suggère Régine. Supposons que je sois flétrie, déshonorée. Je serais venue me réfugier auprès de vous. Vous m’auriez recueillie, sauvée. Voilà une attitude chevaleresque et qui arrangerait tout. Nous serions deux parias, l’humanité tout entière nous repousserait et nous nous unirions à la face de l’humanité tout entière : voilà qui ne serait pas banal et qui offrirait à deux âmes romantiques une perspective de jouissances infinies et rares. Eh bien, mais ! sa visite d’hier soir est en effet quelque chose d’assez compromettant. Si cela venait à se savoir, Régine serait perdue de réputation. Paul voit bien qu’il lui rend service en l’épousant… Et Paul en convient. Il épousera. Il le promet. Mais il le promet d’une drôle de manière et d’un air bizarre. Il a un ricanement sarcastique. Il a des mots étranges : « Le tour est joué… Ne faites donc pas l’innocente… Vous m’avez pris pour dupe. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Régine reste atterrée. Elle se demande : Que signifie ce brusque changement d’attitude ? Quelle idée saugrenue lui a passé par l’esprit ? Qu’est-ce qu’il a pu croire ?

Ce qu’il a cru ? La cousine Louise l’explique tout de suite. Paul croit que Régine est enceinte, qu’il lui faut, et d’urgence, un auteur responsable et que c’est la raison, l’impérieuse raison de sa visite précipitée d’hier soir… Du tout, riposte Régine, et tu n’y comprends rien. Paul Bréan a de la noblesse dans l’âme : il éprouve des scrupules à faire un mariage disproportionné, et il veut se faire prier. — Il faut le mettre à l’épreuve. Régine lui dira qu’en effet elle a été séduite. Ou plutôt, parce que cette confidence est tout de même un peu scabreuse, la cousine Louise la fera à sa place. On verra comment se comporte Paul et ce qu’il convient de décider.

Voilà donc les deux protagonistes que le drame va mettre aux prises. N’avais-je pas raison de vous dire qu’ils ressemblent peu aux êtres que nous avons coutume de rencontrer dans la vie et surtout à