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C’est comme une réalité qui s’impose, et c’est en cela que toute conversion est inexplicable. Il arrive simplement un jour que Dieu existe, personnel, agissant, vivant. « N’avons-nous pas un droit à ne pas voir Dieu ? et je ne puis l’exclure ! Il ne profère point de parole et d’où vient que je l’entends ? Je ne puis l’atteindre, et il est avec moi. Il n’est nulle part, et je ne saurais le fuir. » Grande angoisse : celle de Pascal, de tant d’autres, et qu’une heure transforme en l’assurance prodigieuse…


Quand ainsi la foi s’établit dans un esprit, elle y développe un zèle irrésistible. Convaincu d’abord dans sa sensibilité, M. Claudel laissa ce zèle s’emparer de son activité totale, et, « comme la phrase qui prend aux cuivres gagne les bois et progressivement envahit les profondeurs de l’orchestre, » il devint peu à peu l’instrument entièrement utilisé de sa croyance. Si chacun de nous doit agir pour le bien moral suivant ses moyens (comme nous avons des moyens divers de gagner notre vie), le poète a pour action la parole ; et son devoir, sa mission, son emploi sur la terre, est de proférer la vérité suivant la connaissance qu’il en a reçue. M. Claudel assigne au poète ce rôle éminent, et il ne s’y est pas dérobé. Aucune partie de son œuvre cependant ne cherche à démontrer ou à expliquer : il témoigne, et c’est tout. Il se porte garant. Il montre aux autres avec force qu’il possède une évidence, et que cette évidence est splendide, Sans doute cette apologétique en arrive à reposer entièrement sur une action personnelle, et c’est là peut-être sa faiblesse. Mais M. Claudel a montré dans toute son œuvre un esprit si étendu et si informé, et dans ses pages de philosophie un raisonnement si robuste et si strict qu’il faut bien lui reconnaître quelque autorité. Et je crois de plus que s’il a tant d’ascendant personnel sur les jeunes gens qui le lisent, c’est à cause des sources les plus sensibles et les plus instinctives de sa foi, et à cause de la forme que prend sa pensée religieuse, qui est l’exaltation. Enfin il faut reconnaître que ses pages ont cet accent ardent qui s’empare de l’esprit :


« Et moi, comme vous avez retiré Joseph de la citerne et Jérémie de la basse-fosse,

C’est ainsi que vous m’avez sauvé de la mort et que je m’écrie à mon tour,