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nom est connu, et on peut dire que son œuvre est inconnue. Quelques-uns le tiennent pour un des écrivains les plus importans de cette génération littéraire, et la masse des lecteurs est indécise sur la signification et sur la valeur même de son œuvre. Intéressée, intriguée par le succès d’une représentation heureuse[1], elle reste dans l’expectative.

M. Paul Claudel appartient à la carrière consulaire. Né en 1868, d’une famille vosgienne, il eut pour pays d’enfance et de vacances le Tardenois, cette partie boisée et vallonnée de l’Aisne qui participe de l’esprit de l’Ile-de-France et de celui de l’Ardenne ; et c’est à ce lieu de « rencontre entre la Craie de Champagne et le grand labour Soissonnais, » et dans la Marne voisine, entre les deux points culminans de Reims et de Laon, qu’il a placé tous ceux de ses drames qui se passent en France : la terre natale obsède ceux mêmes qui la quittent. Après les années scolaires dans un lycée de Paris et la préparation par l’École des Sciences politiques au concours du Ministère des Affaires étrangères, il quitte la France pour de longues années, et sa carrière s’accomplit entièrement aux Etats-Unis et en Chine. Il devient un spécialiste des affaires chinoises, et son dernier poste dans l’Empire du Milieu est le Consulat de Tien-Tsin, d’où il revient en 1908 pour occuper successivement divers postes européens, Prague, puis Francfort-sur-le-Mein et actuellement Hambourg, où il est consul général. M. Paul Claudel n’a donc pas mené une vie de rêveur, il a accompli sa besogne d’homme et bâti sa vie. Il ne faut pas du tout ici s’attendre à une figure d’esthète. La spiritualité de l’Annonce faite à Marie a pu donner le change sur cette physionomie. Mais ses portraits, au contraire, s’accordant en cela avec toute son œuvre, dont le caractère dominant est la force, montrent un homme surtout robuste, les épaules hautes, la tête carrée, les yeux clairs et enfoncés, le front très large, et les traits simples d’un homme de bon équilibre.

La vie exotique donna à M. Claudel des spectacles curieux et

  1. L’Annonce faite à Marie, le dernier des drames de M. Claudel, a été représenté à Paris par le théâtre de l’Œuvre le 21 décembre 1912 et a reçu de la presse et du public un accueil très favorable, qui s’est renouvelé à Strasbourg et à Francfort où il fut récemment joué en français. Le théâtre des Champs-Elysées en a donné le 7 mai une nouvelle représentation, et tout récemment, au mois d’octobre, une adaptation allemande, mise à la scène avec les moyens nouveaux dont dispose le théâtre de Hellerau près de Dresde, obtint le plus vif succès.