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de soleil dansent à travers les rideaux mal fermés, et que la voix du maître a des inflexions de langueur : oui, c’est bien ainsi que l’existence s’écoulait pour nous, jusqu’à l’heure où notre premier examen nous appelait, rouges d’émotion, devant des jurys indulgens ; jusqu’au jour où une couronne dorée, mal assurée sur notre tête, faisait de nous des triomphateurs embarrassés et confus. On dirait que De Amicis a recueilli nos confidences ; et qu’en parcourant les pages où son fils Henri est supposé noter ses impressions journalières, ce sont nos propres mémoires que nous lisons.

Seulement, ces mémoires-ci ont plus de portée. Dans l’école telle que De Amicis nous la présente, ne règne pas seulement la camaraderie, à l’ordinaire : il entend y faire régner aussi la solidarité. En classe, le riche voisine avec le pauvre ; le fils de l’industriel ou de l’avocat se trouve à côté du fils du charbonnier ou de la marchande de légumes ; il arrive même que, dans l’opinion publique des écoliers, le fils de la marchande de légumes soit supérieur à tous les autres, s’il joue mieux aux billes ou s’il se montre plus complaisant. Il faut profiter de ce moment unique pour rapprocher les classes : n’est-ce pas une société déjà que ces enfans réunis au hasard, et forcés de vivre ensemble ; une société où les inégalités apparaîtraient à peine ? Si on habitue ces petits hommes à ne pas mesurer l’estime à la richesse du vêtement, vingt ans après, le médecin ou l’avocat continueront à fréquenter le marchand de bois ou le mécanicien : et, chacun restant à sa place, tous n’en seront pas moins unis. Voilà pourquoi, à l’instigation de son père, Enrico invite tous les jeudis quelques-uns de ses camarades, sans distinction de fortune, pourvu qu’ils soient de bons enfans. Ce père a des délicatesses exquises. Le petit maçon, venu avec ses habits de travail, les seuls qu’il possède, a laissé des traces de plâtre sur le beau fauteuil du salon. Enrico veut essuyer le fauteuil : son père l’arrête. Car il ferait honte à un camarade pauvre ; il ne le faut pas. — La belle leçon que donne une solidarité ainsi comprise ! D’ordinaire, ce sont les hommes qui façonnent l’âme des enfans à leur manière, en lui imposant leur science, et aussi leurs habitudes et tous leurs préjugés. Ils font naître la haine des classes comme par jeu, avant même que les petits puissent bien comprendre la puissance de l’argent ou la dureté des servitudes. Ici, au contraire, les enfans montreraient aux hommes