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monde. Il appartient à cette catégorie d’œuvres qui, de l’élément national, font sortir l’élément humain. Et nous-mêmes, à suivre les péripéties de la très simple histoire, revivons notre passé. Les impressions d’enfance sont si fortes, qu’en vérité nous n’avons pas oublié le temps où la solution d’un problème était pour nous affaire d’importance, et où les événemens de notre existence s’appelaient narration ou dictée. À l’appel de De Amicis, elles se font jour en nous, ces émotions anciennes ; elles remontent à notre conscience, à travers les années qui nous en séparent, à travers les expériences qui nous ont chargé l’âme. Un peu estompées par le temps, vagues en certaines de leurs parties, mais très douces à revoir, les images de nos années d’école apparaissent une à une devant nos yeux. Il ne s’appelait pas De Rossi, comme dans le livre, celui « qui était toujours premier, et qui remportait toujours la médaille : » mais il est bien vrai qu’il y en avait un parmi nos compagnons qui nous inspirait une secrète envie, parce qu’il était invincible en toutes les matières, connaissait imperturbablement sa table de Pythagore et ne se trompait jamais sur les sous-préfectures. Il n’y avait peut-être pas Garrone, le bon géant, qui a peine à s’asseoir sur des bancs trop étroits pour sa grande taille, qui protège les faibles de ses poings vigoureux ; il n’y avait pas Garoffi, le précoce marchand, qui fait collection de timbres-poste, met des canifs en loterie, vend des billes ou des gommes, et de tout fait profit : mais il y avait d’autres caractères semblables à ceux-là ; nous revoyons la manie de l’enfant qui trahissait déjà la vocation de l’homme. Il n’y avait pas Precossi, celui qui fait le bec de lièvre : mais sûrement, tel de nos camarades possédait un talent merveilleux du même genre, capable de lui assurer auprès de nous la plus glorieuse réputation. Nous vivions au milieu de types analogues ; nous ne les découvrons pas ici, nous les retrouvons. Paisible succession des heures de travail et gaies échappées des vacances ; maladies qui nous tenaient éloignés de la vie pendant quelques jours, et dont la convalescence nous était douce ; promenades à travers les champs, avec quelques amis d’élection ; soirs de neige, où nous attendions la sortie avec impatience, à cause des flocons qui allaient couvrir nos manteaux de leur blancheur, des batailles, de la bonne chaleur du foyer qui nous accueillerait après le froid ; après-midi d’été, dont la somnolence pèse sur toute la classe, tandis que les rayons