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analyse l’âme nationale ? Ne serait-ce pas un indice de « cette intuition aiguë de la réalité, de cet infaillible instinct pratique, » où un historien comme M. Novati voit l’influence persistante de la mentalité romaine, à travers la mentalité italienne ?

Mais sans doute, Pinocchio serait très étonné de savoir qu’on veut lui prêter de si graves responsabilités ; il y aurait mauvaise grâce à charger de ces hypothèses trop lourdes son âme frêle. L’essentiel, en lui, demeure bien cette libre et spirituelle fantaisie dont nous ne trouvons l’égale nulle part. Dans aucun pays, une marionnette n’a rompu les fils qui l’attachaient à son théâtre pour conquérir le cœur des enfans. Ni la petite Alice des Anglais, ni le Strummel Peter des Allemands, n’ont été taillés dans un morceau de bois qui parlait. Dans la brume, au milieu de gens réservés et froids, qui mesurent leurs mouvemens, qui ne comprennent même pas ce qu’un geste ajoute d’éloquence au discours, Pinocchio n’aurait pas pu vivre ; Pinocchio est le produit d’un sol où la fantaisie se développe spontanément sous un ciel heureux.


III

Si Pinocchio est amusant, Cuore est beau. Le succès du premier a fait naître quantité d’imitations : l’ami de Pinocchio, l’ami de l’ami de Pinocchio, le frère de Pinocchio, le secret de Pinocchio, Pinocchio en automobile, Pinocchio à Rome, Pinocchio en Afrique : le second reste unique. Au mois de janvier 1886, De Amicis, favori déjà du public, auteur, entre autres ouvrages, de récits militaires qui avaient fait fortune, était allé chercher son jeune fils à la sortie de l’école ; il le vit arriver en compagnie d’un petit pauvre, son camarade de classe, bizarrement accoutré de vêtemens trop grands pour lui. Avant de se quitter, les deux enfans s’embrassèrent. De Amicis conçut, en cette seconde même, et tout ému par cet exemple de fraternité enfantine, l’idée d’un livre où il peindrait la vie de l’école dans ce qu’elle a de beau et de touchant. En quatre mois, le manuscrit était achevé, remis à l’imprimeur, et Cuore était né.

Le livre est italien par ses racines ; il traduit un des sentimens les plus chers au cœur de la nation, qui est le patriotisme. Qu’il faille saluer le drapeau avec respect, qu’il faille voir, dans un régiment qui défile, autre chose qu’un