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fait-il ? — Celui de pauvre. » Voici la critique, à peine indiquée, d’un menu travers, très humain : la fée aux cheveux bleus invite à goûter les amis de Pinocchio. « Quelques-uns se firent prier ; mais quand ils surent que les petits pains seraient beurrés, même au dehors, ils finirent tous par dire : Nous viendrons aussi, pour te faire plaisir. » Il y a des traits à la Dickens, comme l’histoire du montreur de marionnettes, homme terrible d’apparence et excellent de cœur, qui ne peut s’empêcher d’éternuer quand il est secrètement ému. Il y en a de plus appuyés, presque à la Swift : on a mis Pinocchio en prison, parce qu’il est innocent ; il arrive qu’à l’occasion d’un anniversaire, on rend la liberté à tous les coupables. Pinocchio veut s’en aller. « Pas vous, dit le geôlier, vous ne faites pas partie de ces gens-là. : — Je vous demande pardon, réplique Pinocchio, je suis un coquin, moi aussi. — Alors vous avez mille fois raison, » dit le geôlier. Et après avoir respectueusement tiré sa casquette, et l’avoir salué, il ouvrit les portes, et le laissa partir. » — « J’ai de l’autre faim ! » s’écrie Pinocchio, un jour qu’il est insuffisamment rassasié. De même Collodi tient toujours en réserve de l’autre rire.

De ces pages allégées et égayées, Pinocchio jaillit, heureux de gambader sans contrainte, vivant symbole d’une des qualités les plus précieuses de son pays. Il est le triomphe de l’imagination : à quel peuple plus qu’aux Italiens, la nature a-t-elle jamais donné une imagination riche et souple ? Quelle littérature a jamais convié les hommes à de plus splendides fêtes de l’imagination ? Quels auteurs ont échafaudé sur le caprice ou sur le rêve de plus féeriques constructions ? Sombre en décrivant les cercles de l’enfer, riante en semant de fleurs les jardins d’Armide, éclatante et comme fière de son apothéose dans les opéras d’un Métastase, maîtresse d’illusion et de fantaisie, l’imagination italienne a créé une tradition que la vie moderne elle-même est impuissante à interrompre. Hier, avec les puissantes évocations historiques d’un Carducci ; aujourd’hui, avec les visions plastiques d’un Annunzio, elle se maintient et se perpétue. De ce magnifique héritage, Pinocchio s’est enrichi pour une part. Les nécessités matérielles qui l’attachent à la terre sont réduites à un minimum : bois dur et ressorts, il ne traîne pas après lui un corps pesant qui serait toujours en retard sur ses caprices. Il est léger comme l’esprit, et comme lui bondissant ; il obéit