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défauts, développe les qualités, et fait régner autour d’elle une atmosphère de bonheur, pour exciter dans l’esprit de ses lecteurs le désir de devenir eux-mêmes de Petits Héros ; ainsi, chez nous, Jules Girardin a prêté à la vertu tout le charme de sa bonne grâce souriante, de son pittoresque délicat, et a montré comment la vie pouvait être à la fois très simple et très noble, dans ses Braves Gens.

Il y a même une littérature internationale pour les enfans. Le bon chanoine Schmid, qui n’a pas cessé de faire les délices de l’Allemagne, est devenu classique hors de son pays ; de même Grimm. Le cycle héroïque des trappeurs, l’épopée de Bas-de-Cuir ou du Dernier des Mohicans, forment les chansons de gestes de l’adolescence. Qui ne connaît Robinson Crusoé, et par surcroit le Robinson Suisse ? Le capitaine Corcoran lui-même, héros plus fantaisiste, voisine sans trop de peine avec ces personnages illustres. Andersen commence à conquérir l’Italie, après avoir trouvé en Angleterre sa seconde patrie ; nous pouvons prédire presque à coup sûr que le Nils Holgersson de Selma Lagerlöf continuera d’un bout à l’autre de l’Europe son merveilleux voyage. Mais de toutes ces importations, celle que nos voisins ont accueillie avec la faveur la plus constante est sans contredit celle de Jules Verne. Les réalités récentes, qui infligent un démenti à ses imaginations les plus audacieuses en les dépassant, ont vieilli quelques-uns de ses livres : mais il en a tant écrit, et de si palpitans, que les jeunes curiosités trouvent encore à se satisfaire chez lui. Il est le mage, ainsi que l’appelait, dans une pièce de vers toute parfumée de la poésie du souvenir, un des meilleurs poètes de l’Italie contemporaine, M. Bertacchi. Celui-ci le saluait au moment de sa mort, et se faisait l’interprète des adolescens italiens que ses prestigieuses histoires avaient charmés. Tous, disait-il, nous sommes partis à pleines voiles à ta suite, sur les mers lointaines, vers les forêts vierges et les fleuves inconnus. Tous nous avons admiré l’audace de tes héros, cœurs grands et simples, qui entreprenaient vaillamment la lutte contre les forces de la nature. Nous les avons vus, perdus sur leurs rochers nus, refaire peu à peu l’histoire de l’humanité, tirer du néant la table, le lit, et le feu. On aurait dit qu’ils renfermaient en eux l’âme de notre race qui ne veut pas périr, et qui se retrempe dans l’orgueil de ses triomphes. Et, lui disant adieu, M. Bertacchi évoquait l’âme du