Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/847

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

primitive ; des mots simples, les premiers venus, pourvu qu’ils expriment l’amour ; des mots qu’on redit inlassablement, parce que le sentiment qui les dicte ne s’épuise jamais : voilà qui satisfait à la fois les enfans et les mères. Elles séduisent par leur gaucherie même, par leur beau dédain de tout raffinement, ces vieilles chansons que le mouvement du berceau a fait naître, qui ont à peine une tradition écrite, qu’il faut recueillir sur les lèvres du peuple, et que chaque génération reprend sans les discuter. Elles sont comme la confidence puérile de deux âmes très simples, de deux êtres qui ne parlent pas pour se faire entendre des autres, mais pour se plaire ; on a l’impression, lorsqu’on les surprend, de troubler une effusion du cœur ; on s’étonne de les trouver si naïves, et cependant si touchantes. Le rythme est monotone ; les diminutifs, les « piccinino, » les « poverino, » trahissent la tendresse qui se fait câline, et la compassion que les mamans éprouvent pour les petits : pour « le cher petit qui a besoin de faire un beau somme ; » pour « le pauvre petit qui a besoin de dormir, et qui ne sait pas le dire : »


Fa’ la nanna, fa’ la nanna,
piccinino délia mamma,
fa’ la nanna, fa’ un bel sonno ;
poverino n’hai bisogno.
Hai bisogno di dormire :
poverin, non le sai dire.
Nanna oh ! nanna oh !
il mio bambino s’addormentó.


Cette source de poésie spontanée ne se tarit pas tout d’un coup lorsque l’enfant grandit. Pour les rondes des petites filles, il faut des chansons : le jeu leur paraîtrait morose, s’il ne s’accompagnait de paroles cadencées. Pour les évolutions des troupes joyeuses des bambins, il faut des chants alternés ; on se sépare en deux groupes, qui s’éloignent, se rapprochent, s’éloignent encore en se répondant, comme dans les chœurs du théâtre antique. Si on est las des jeux, et qu’on veuille passer le temps, sans plus, il faut bien encore des cantilènes, qui brodent autour d’un thème unique de souples variations, et qu’on recommence paisiblement quand on a fini. Ces productions d’une muse naïve ont attiré l’attention des poètes ; il en est, de fort aimables et de fort sages, qui ont voulu lui prêter le